Modifié le 17 janvier 2021.
Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, vient de présenter le projet de loi de finances rectificative devant l’Assemblée nationale le Jeudi 19 mars 2020.
Discours de Bruno Le Maire
Monsieur le président de l’Assemblée nationale,
Monsieur le ministre,
Mesdames et messieurs les députés,
Le monde fait face à la plus grave crise sanitaire qu’il ait connue depuis plus d’un siècle.
Il fait face aussi à un choc économique dont nous devons mesurer l’ampleur pour notre nation.
Ce choc est immédiat et il touche l’économie réelle : du jour au lendemain, les restaurants, les bars, les théâtres, les cinémas, sont obligés de fermer. Du jour au lendemain, certains lieux de consommation ne sont plus accessibles. Au total, ce sont des dizaines de milliers de commerces, d’artisans, d’entrepreneurs, d’indépendants, qui sont obligés de mettre temporairement la clé sous la porte. Nous devons tous mesurer le désarroi et les inquiétudes profondes de ces acteurs économiques.
Ce choc est violent : certains petits entrepreneurs n’ont plus aucune recette. Les pertes de certaines grandes entreprises industrielles atteignent 80 à 90 % de leur chiffre d’affaires.
Ce choc, enfin, est global, car aucun pays n’est épargné. La Chine a été frappée, l’Europe est frappée, les Etats-Unis seront frappés.
Les conséquences de ce choc nous amènent dans ce projet de loi finances rectificative à réviser notre prévision de croissance pour 2020.
Nous estimons que la croissance française en 2020 sera négative à -1% au lieu des +1,3% prévu dans la loi de finances initiale pour 2020 que vous avez votée il y a seulement 3 mois.
Je veux être clair avec vous : cette estimation est provisoire.
Elle pourra changer en fonction de l’évolution de la situation sanitaire en Europe, de la durée nécessaire des mesures de confinement et de la situation aux États-Unis, qui est la première économie de la planète et l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Europe.
Nous sommes entrés dans une guerre économique et financière. Cette guerre sera longue. Cette guerre aura un coût, que nous ne pouvons pas estimer totalement au moment où je vous parle.
Cette guerre doit être menée sur tous les fronts : national, européen et international.
1. Sur le front de notre économie nationale, le projet de loi de finances rectificative intègre un plan de soutien de 45 milliards d’euros pour préserver les compétences des salariés et l’activité de nos entreprises.
Ce plan de soutien est composé de quatre mesures d’urgence et pourra être renforcé en cas d’aggravation ou de prolongement de la crise sanitaire.
1re mesure : le report des charges fiscales et sociales pour toutes les entreprises sur le mois de mars
Ces reports représenteront, pour le seul mois de mars, un coût de 35 milliards d’euros en trésorerie pour les finances publiques.
Ces reports doivent permettre aux entreprises de tenir en trésorerie le temps de la crise. Ils pourront conduire au cas par cas à des annulations d’impôts directs si certaines entreprises ne peuvent pas payer. Nous évaluerons ces situations au cas par cas à la fin de la crise sanitaire.
Pour les plus petites entreprises qui connaissent des difficultés, les factures de gaz, les factures d’électricité et les loyers pourront également être reportées.
Pour les loyers, nous travaillons auprès des bailleurs publics pour reporter les échéances pour les plus petites entreprises.
Je souhaite que tous les bailleurs privés fassent preuve de solidarité. Si vous pouvez reporter l’encaissement des loyers faites-le ! Suivez l’exemple qu’a donné le Conseil national des centres commerciaux qui a accepté de reporter les loyers de mars pour 38 000 commerces.
La logique que nous défendons avec le président de la République et le Premier ministre pour les plus petites entreprises durement affectées par la crise est simple : 0 recette, 0 dépense.
La solidarité concerne aussi les grands donneurs d’ordre. Les prestataires et les fournisseurs doivent être payés en temps et en heure.
Certaines entreprises s’estiment exonérées du paiement de leur facture à cause de la crise sanitaire que nous vivons. C’est inacceptable et c’est dangereux pour des milliers de petites et moyennes entreprises prestataires.
Les délais de paiement entre entreprises ne doivent pas augmenter. J’ai demandé à la DGCCRF de veiller au respect de ces règles.
Ne cédons pas au chacun pour soi.
2e mesure : la mise en place massive du chômage partiel
C’est la première fois qu’un tel dispositif de chômage partiel est instauré en France : 100 % du chômage partiel sera pris en charge jusqu’à 4,5 SMIC. C’est le dispositif le plus généreux d’Europe.
Le coût sera de 8,5 milliards d’euros pour deux mois à partir de mars.
Avec cette mesure, nous avons un impératif : protéger les compétences et les savoir-faire des salariés qui font la force de l’économie française.
Aucun licenciement ne doit avoir lieu.
Licencier aujourd’hui reviendrait à ralentir, demain, le rebond de notre économie.
3e mesure : la création d’un fonds de solidarité.
Il permettra de soutenir les plus petites entreprises, les indépendants et les micro-entrepreneurs dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros. Ces hommes et ces femmes sont les premiers employeurs de France et sont les premiers à être fragilisés par la crise sanitaire et les mesures de confinement.
Ils doivent être soutenus. 1 milliard d’euros par mois leur sera dédié : 750 millions d’euros financés par l’Etat et 250 millions par les Régions.
Je tiens à souligner ici la mobilisation des régions et l’esprit de coopération avec lequel nous travaillons.
Ce fonds de solidarité soutiendra les entreprises qui ont été fermées. C’est le cas de 160 000 entreprises de la restauration, 140 000 entreprises du commerce alimentaire ou encore 100 000 entreprises du tourisme.
Il soutiendra également toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires a été diminué de 70 % entre le mois de mars 2019 et le mois de mars 2020.
Il inclura les TPE, les PME de moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires, les micro-entrepreneurs, les indépendants. Nous avons également décidé d’inclure dans le champ d’application de ce fonds de solidarité les professions libérales les plus modestes, celles qui pourraient être condamnées par la crise actuelle. Un kinésithérapeute de Mulhouse qui n’a plus aucune activité aujourd’hui et qui a décidé de se mettre gratuitement à la disposition de l’hôpital de Mulhouse doit pouvoir bénéficier de la solidarité nationale.
Ce fonds aura deux actions :
- il apportera un soutien rapide de 1500 euros aux entreprises qui en ont besoin et qui rentre dans le champ que je viens de définir ;
- il doit protéger contre les faillites : aucune entreprise ne doit risquer la faillite du simple fait de la crise. Au cas par cas, le fonds apportera un soutien complémentaire pour les entreprises les plus en difficulté.
4e mesure : la garantie par l’Etat de tous les prêts de trésorerie aux entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros.
Ce dispositif est exceptionnel. Il est massif. Il doit protéger les entreprises contre le risque de faillite. Ce dispositif est ouvert à compter du 16 mars et durera jusqu’à la fin de l’année. Il est ouvert pour toutes les entreprises, petites ou grandes, quelle que soit leur taille. Il apportera la garantie de l’Etat jusqu’à 90% et permettra de financer jusqu’à 25% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise.
Toutes ces mesures n’ont qu’un seul et unique objectif : maintenir l’activité économique française le temps de la crise sanitaire afin qu’une fois la crise derrière nous, notre économie se relance rapidement.
Dans une guerre économique il faut limiter les pertes. Nous ne voulons aucune perte économique à cause de cette crise sanitaire.
Ces mesures ont un coût : 300 milliards d’euros de garantie apportée par l’Etat, 45 milliards d’euros pour le plan d’urgence.
Par conséquent, le déficit public pour 2020 devrait atteindre 3,9 % du PIB au lieu de 2,2 % prévu initialement.
La dette française dépassera en 2020 100 % du PIB.
Vous connaissez le combat que nous menons depuis trois ans avec Gérald Darmanin pour restaurer nos finances publiques.
Les temps de crise imposent de faire des choix politiques clairs. Notre choix est de faire bloc pour soutenir les salariés et les entreprises quoi qu’il en coûte. Nous privilégions le soutien à nos salariés et aux entreprises sur les équilibres de finances publiques. Ce choix politique est dicté par des circonstances exceptionnelles. Il est temporaire mais il est le seul responsable face à la crise que nous traversons.
A cet égard, je salue la décision de la Commission européenne de lever en 2020 les contraintes réglementaires au titre du Pacte de stabilité et de croissance qui pèsent sur les Etats membres de la zone euro.
2. Sur le front international, les pays européens et les pays du G7 font face ensemble.
L’Eurogroupe a pris lundi dernier la décision forte de coordonner une réponse budgétaire massive à hauteur de 1% du PIB pour le soutien aux économies de la zone euro.
Les pays de la zone euro ont aussi annoncé un total de 1 000 milliards d’euros de garanties de prêts.
Je veux également saluer le programme d’achat d’actifs annoncé hier soir par la Banque centrale européenne. Ce programme massif permettra à la Banque centrale européenne d’acheter 750 milliards d’actifs sans plafond de dépenses mensuelles. Ce programme est judicieux. Il soutiendra les entreprises et les Etats pour traverser la crise sanitaire que nous vivons. Mais surtout, il évitera la fragmentation de la zone euro et il renforcera la solidarité entre les Etats membres.
Je me réjouis de voir que les écarts de taux entre les dettes souveraines des Etats de la zone euro se sont réduits depuis cette annonce. Ne nous y trompons pas : ce qui est en jeu dans les jours et les semaines qui viennent, c’est l’unité de la zone euro. Soit la zone euro réagit de manière unie à la crise économique et elle sortira plus forte, soit elle réagit en ordre dispersée et elle risque de disparaître. Notre responsabilité dépasse donc les seules questions économiques et financières. Il en va de l’avenir politique de notre continent.
C’est pourquoi nous continuerons à nous battre dans les prochains jours pour proposer des solutions communes. Et nous devons réfléchir au-delà de la crise.
Au Conseil « compétitivité » de vendredi nous examinerons le renforcement de notre souveraineté industrielle européenne. La crise actuelle montre cruellement nos faiblesses et nos dépendances. Dans beaucoup de secteurs industriels stratégiques, par exemple le médicament, nous sommes trop dépendants des approvisionnements en Asie. Nous devons examiner filière industrielle par filière industrielle, technologie par technologie, cette situation inacceptable et apporter des réponses sur le long terme. Nous devons repenser la mondialisation à l’aune du principe de souveraineté.
3. Enfin, j’aimerais rappeler les deux principes qui guident cette guerre économique et financière que nous menons.
1er principe : préserver les compétences des salariés et protéger notre patrimoine économique technologique.
Aucune entreprise ne doit mettre la clé sous la porte. Aucune grande entreprise, aucun fleuron industriel ne doit être déstabilisé par la situation actuelle des marchés.
Nous avons des instruments à notre disposition pour soutenir nos grandes entreprises industrielles, dont certaines ont perdu beaucoup de valeur au cours des derniers jours. Nous pouvons prendre des participations. Nous pouvons recapitaliser. Nous pouvons le cas échéant nationaliser. Nous nous tenons prêts à recourir à tous ces instruments.
2nd principe : garantir la continuité de la vie économique de la Nation
Le président de la République a demandé à tous nos compatriotes de rester chez eux pour se protéger et protéger leurs proches. Il a aussi indiqué que les sorties étaient possibles pour se rendre sur son lieu de travail. Je comprends les inquiétudes des salariés. Je mesure toutes les interrogations qui se sont multipliées ces dernières heures. Et je souhaite y apporter des réponses claires.
1er message : les salariés qui ne peuvent pas recourir au télétravail doivent pouvoir travailler dans des conditions sanitaires totales.
Pour cela, j’invite tous les employeurs, tous les chefs d’entreprise, à prendre le temps nécessaire pour discuter avec leurs salariés, dans les usines, dans les dépôts, dans les grandes surfaces, des modalités d’organisation de travail. Jamais le dialogue social dans l’entreprise n’a été aussi nécessaire. Jamais le dialogue social n’a est aussi important pour préciser les conditions de travail, espacer les postes de travail et les équiper avec les moyens de protection adaptés. Les organisations syndicales et patronales travaillent sur un guide de bonnes pratiques. Je salue cette initiative qui répond parfaitement aux enjeux du moment.
2e message : nous avons besoin de vous.
Nous avons besoin de votre engagement quotidien pour garantir la sécurité économique de notre pays. Ici, devant les représentants du peuple français, avec les représentants du peuple français, je veux adresser toute ma reconnaissance et toute ma considération aux postiers qui continuent de livrer des colis ou des plateaux repas à des personnes isolées, aux agents des télécoms qui renforcent les lignes pour que chacun puisse avoir accès à internet chez soi, aux conducteurs de la RATP et de la SNCF, aux agents de propreté et aux salariés des déchetteries qui assurent le traitement de nos déchets chaque jour, aux agriculteurs qui continuent de produire, aux transporteurs qui sillonnent nos routes pour assurer la continuité de la chaine logistique, aux ouvriers de l’industrie agro-alimentaire qui garantissent notre indépendant alimentaire, aux caissières et aux caissiers des grandes surfaces, aux agents de maintenance, aux metteurs en rayons, aux employés des banques qui accueillent à leurs guichets tous ceux qui ont besoin de trésorerie.
A toutes ces travailleuses et à tous ces travailleurs qui assurent la continuité économique de notre Nation, je veux dire simplement merci. Ils sont le visage de cette France qui reste forte dans l’adversité et qui ne baisse pas les bras.
Mesdames et messieurs de la majorité, ne m’applaudissez pas. Mais vous tous, parlementaires, applaudissez-les.
Je vous remercie.
Seul le prononcé fait foi