n°214-215 La Revue des Sciences de Gestion – Editorial par Philippe Naszalyi – Allo New-York, je voudrais le 22 à Asnières…

Modifié le 31 janvier 2015.

« Allo New-York, je voudrais le 22 à Asnières… »

parPhilippe NASZÁLYI
Directeur de La Revue des Sciences de Gestion
direction et gestion des entreprises

C’est par ce sketch populaire d’il y a tout juste cinquante ans qu’un humoriste français1 raillait l’incohérence de l’Administration des Postes, Télégraphes et Téléphone (PTT) comme l’on disait alors, et ridiculisait ceux qui, pour atteindre la banlieue parisienne, devaient passer par New York. On n’était pas avare en ce temps là, de « soumission Atlantique»… Toujours cité parmi les cinq sketches les plus populaires, par les Français2, malgré la disparition tragique de l’humoriste3 il y a plus de 30 ans, sa renommée dépasse largement les frontières de l’Hexagone. Cela montre, s’il en était besoin, que malgré les progrès réalisés, notamment en « technique »4, le fond qui justifiait la raillerie n’a pas disparu. En effet, il est peu vraisemblable que les représentants des gouvernements successifs rappellent à une grande société de transport ferroviaire :

– que le service public est celui du public ;

– que le progrès des techniques ne peut compenser une politique managériale fleurant bon le XIXesiècle ;

– qu’un « marketing des services tronqué » qui sacrifie le service et la sécurité des usagers par des économies sur le personnel ne peut fonctionner qu’en faussant la représentation pourtant bien faible, des associations de voyageurs.5

Ils ne rappelleront pas plus à l’ordre, une société de transport en commun parisien, à prétention internationale, mais de statut toujours public, dont le service commercial décide sans aucune justification légale qu’elle ne prélèvera pas les abonnements de transport sur certains types de compte…

C’est bien oublier cet excellent apport de chercheurs en marketing que sont notamment les Américains affirmant, études à l’appui, qu’il ne peut y avoir de marketing intelligent que lorsque l’entreprise vise « la satisfaction réelle des besoins de ses clients tout en gérant un  système de production de services, profitable, délivré par des employés qualifiés et agréables »6 et non la poursuite de chimères propres à satisfaire l’ego et le carriérisme de ces fossoyeurs des entreprises qu’ils ont pourtant mission de défendre et développer.

Pratiquant ce que dans le pays dont ils idolâtrent les méthodes, on appelle « racket », nos modernes Trissotin avec la neutralité bienveillante voire la complicité des hommes de gouvernement, estiment pourtant appliquer une politique managériale et de marketing de pointe !

L’on ne peut cesser de s’interroger sur la véritable schizophrénie de ces praticiens qui, souhaitent tout à la fois le renforcement de la construction économique européenne mais appliquent aux entreprises des modèles mal copiés et souvent obsolètes d’un autre continent. Ces mêmes qui oublient que la liberté d’entreprendre chez les Anglo-Saxons s’accompagne d’un contrôle réglementaire scrupuleux et d’une éthique des affaires que la justice n’hésite pas à mettre en application de manière stricte avec des condamnations souvent rigoureuses.7

Il n’en est pas de même en France où — avec regret — on peut craindre par exemple, qu’un rapport pourtant bien clair de la Direction de la Concurrence heureusement ébruité par la presse8 cet été, ne change en rien les pratiques inqualifiables de nos téléphonistes si peu respectueux des règles de la concurrence,
pourtant fondamentales dans un régime de libre entreprise.

« Pourquoi ne pas enseigner les techniques et pratiques de corruption si la référence à une morale de l’action n’est pas jugée nécessaire ou si, après calcul, on peut montrer que transgresser les règles du droit rapporte davantage que de les respecter ? »9

Hubert de La Bruslerie pose bien ici, la question de fond, mais il ne pouvait prévoir que d’aucuns en plus que d’enseigner n’hésitent plus à mettre en pratique, dans l’indifférence générale des « zélateurs de la vertu ».10

Le nombre des entreprises, souvent grandes, et apparemment respectables pratiquant des politiques qui tomberaient sous les coups de la justice chez les Anglo-Saxons est tel, qu’on peut souvent désespérer de l’utilisation en France, des termes « éthique », « responsabilité sociétale » qui sont encore bien souvent des arguments de mauvais « marketing » plus que des pratiques.

Heureux encore lorsque ces méthodes ne se transforment pas elles-mêmes en des pratiques délictueuses !

Nous ne souhaitons pas quant à nous, faire nôtres les travers de nos correcteurs de versions grecques ou latines qui jadis épinglaient discrètement dans la marge de nos copies ces abréviations : CS11
ou plus gravement NS12, pas plus que nous n’épouserons l’« antiaméricanisme » par ailleurs, de bon aloi.

Nous sommes et voulons demeurer à l’écart de toutes les modes, comme nous le rappelions dans notre éditorial d’ouverture de la 40e année de notre revue. C’est donc une recherche originale, fondée sur l’analyse et l’expérimentation que le numéro double « spécial marketing » présente à ses lecteurs.

S’ouvrant par une analyse du « tourisme culturel en Sicile », il comprend en outre, deux gros dossiers thématiques :

– le premier s’intéresse à tous les acteurs pour « comprendre les comportements » ce qui est le fondement d’un bon marketing ainsi que nous l’écrivions précédemment, y compris en « apprenant d’un échec commercial»…

– le second qui poursuit l’analyse du « e commerce » commencée dans notre numéro précédent, s’ouvre comme la « toile » sur des auteurs du monde entier et aura, bien sûr une suite.

Enfin, c’est par un opportun rappel de l’importance de la « politique des petits pas » que se clôt ce numéro de près de 200 pages !

Bonne lecture !

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(1) Sketch de Fernand Raynaud de 1955.

(2) Etude réalisée en face-à-face du 27 novembre au 5 décembre 2003 pour DMLSTV et TF1 auprès d’un échantillon de 500 personnes, représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus. Méthode des quotas (sexe, âge, activité) et stratification par région et catégorie d’agglomération. http://www.tns-sofres.com/

(3) Fernand Raynaud, 1926-1973.

(4) Belgacom propose toujours un service de mise en connexion manuelle : Allo, je voudrais le 22 à Asnières, DH, la Dernière heure, 30 juillet 2005. http://www.dhnet.be.

(5) Méthode de corsaire à la SNCF, 28 février 2003, communiqué des organisations nationales de consommateurs
signataires : Adéic – AFOC – ALLDC — Asséco-CFDT – CGL – CNAFC – CNAFAL — CNL – CSF – Familles de France – FNAUT – Familles Rurales — INDECOSA-CGT – ORGECO – UFCS – UNAF. http://www.adeic.asso.fr/article_detail.php?article_id=23
; Pour ne citer que cet exemple parmi des centaines.

(6) Christopher Lovelock, Jochen Wirtz et Denis Lapert, Marketing des services, traduit de l’anglais, page 3, 5e édition, Pearson education, 619 pages, Paris 2004.

(7) L’ex-PDG du conglomérat industriel Tyco, Dennis Kozlowski, 58 ans, et son ex-directeur financier Mark Swartz, 44 ans, accusés d’avoir détourné des centaines de millions de dollars des caisses de l’entreprise, ont été condamnés, lundi 19 septembre (2005) à New York, à 25 ans de prison, avec une période incompressible de huit ans »… « La condamnation de M. Kozlowski est la dernière d’une série.
Même si le procès de l’affaire Enron n’a pas encore eu lieu (il est prévu en janvier (2006) au Texas), plusieurs scandales des années 2001-2002 ont connu cet été leur dénouement judiciaire.
En juillet (2005), Bernard Ebbers, l’ex-PDG de l’opérateur télécoms américain WorldCom, a luiaussi écopé de 25 ans de prison pour fraude et complot dans l’affaire de la plus grande faillite de l’histoire des Etats-Unis en 2002. Il devrait commencer à purger sa peine début octobre (2005) dans sa région du Mississippi. En juin (2005) le fondateur du câblo-opérateur américain Adelphia, John Rigas, 80 ans, a été condamné à 15 ans de prison. Inculpés en 2002, John Rigas et son fils Timothy étaient accusés par le ministère de la justice d’avoir « pillé massivement Adelphia, se servant de la trésorerie de la compagnie comme d’une tirelire pour leur famille, aux dépens des investisseurs ». Le Monde, 19 septembre 2005, AFP. Le Monde.fr Les dates entre () sont de la rédaction de La RSG. (8) Rapport de la DGCCRF, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, 24 mai 2004 cité par Le Canard enchaîné, n° 4426, 24 août 2005, page 3 et Le Parisien, Aujourd’hui, 24 août 2005, page 10.

(9) Hubert de La Bruslerie (sous la direction), Ethique, déontologie et gestion des entreprises, cité par Hervé Mesure et Jacques Lauriol, L’Ethique d’entreprise : présentation, bilan et interprétations, Humanisme et Entreprise, 204-267,15, page 83, 2004.

(10) Nos lecteurs pourront lire avec intérêt ce rapport définitif de la Chambre régionale des Comptes de Rhône Alpes, en particulier des pages 10 à 22. Ils y comprendront notre désabusement… http://www.ccomptes.fr/crc/votre-region/rhone-alpes/Travaux/lettres-et-rapports_obs/rapports_obs2005/rar200506_universite_lyon_2/RAR200506.pdf, Lyon 15 février 2005.

(11) Contre sens, en général moins 4 points sur 20.

(12) Non-sens.