Modifié le 9 mai 2024.
C’est à peu près ce que tous les gouvernants et autres grands dirigeants s’efforcent de réaliser depuis que les « spin doctors » ont pris le pas sur les convictions politiques et les choix idéologiques ! C’est avec « la fin de l’histoire », celle de l’américain Francis Fukuyama, ce mauvais succédané ou « ersatz » hégélien, l’une des plaies du cirque médiatico-politique ambiant !
par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG
Nous devons ces pratiques, comme l’essentiel de notre pensée économiques, à nos « amis » anglais et américains, et cela est devenu caricatural au niveau le plus élevé de l’État.
En effet, sans pratiquer ici une étude de science politique poussée, on peut considérer que faute d’adversaire idéologique avec la fin du communisme en Europe, le système néolibéral Reagano-Thatchérien a enfanté ce monstre dont l’un des avatars les plus prometteurs est sans doute Tony Blair ! Depuis, il a fait des « ménages » très lucratifs grâce notamment à la « Tony Blair Associates » fermée en 2016. Il est vrai que lorsque l’on a à raconter cinq guerres déclenchées en six ans au « 10 », dont bien sûr celle provoquée par le célèbre mensonge des « armes de destruction massive » d’Irak, on est un conférencier d’excellence et un administrateur intéressant pour des entreprises saoudiennes ou russes ! Ne soyons pas si sévères, il fut admirable à la mort de Diana et avec un physique avantageux, un peu à la Barak O., on est absous à la fois par l’opinion populaire et par la médiocratie qui règne dans les salles de rédaction et les arcanes des castes au pouvoir. Son commensal le plus éclairant est le financier de sa campagne. Jean-Louis Legalery décrit en effet Peter Mandelson comme « l’incarnation du spin doctor, ce prototype de chargé de communication prêt à déformer la réalité, à la tordre [sens littéral de to spin] pour faire passer le présumé message politique[1] », ce qui sera le « New labour » qui a fortement influencé nombre de « socialistes » français !
Nous y voilà ! Tous les ingrédients sont constitués : l’affairisme et ses liens financiers, la communication et ses mensonges, l’absence de convictions qui mène à la perte de sens. Vous devez y ajouter une dose de proximité avec le monde des médias, P. Mandelson a été producteur de télévision[2], comme plus tard, l’inénarrable animateur Donald Trump ou, pour ne vexer aucun contemporain en France en parlant aussi de liens matrimoniaux, le regretté Bernard Tapie !
Cela pourrait en fait, n’avoir aucune importance si cet assemblage de hâbleurs politiques qui peuvent défendre tout et son contraire parfois dans le même discours et de petits communicants mercenaires à la solde d’intérêts oligarchiques, ne développaient des politiques tout à fait dangereuses pour l’équilibre économique et social du plus grand nombre. Laurent Mauduit[3] l’a démontré également en décrivant « l’aboutissement de l’histoire longue de la haute fonction publique, qui a cessé de défendre l’intérêt général pour se battre en faveur de ses seuls intérêts ».
Le tout, nous l’avons bien compris, s’inscrit également la pensée économique mainstream qui nous est présentée comme « neutre » alors que ses opposants seraient eux, « engagés », comme le font remarquer à juste titre Virginie Martin et Béatrice Mabilon-Bonfils[4]. Cette imposture de la majorité se marque hélas aussi dans bien d’autres domaines, comme si la science pouvait résulter simplement d’un consensus indépassable, alors que toute l’histoire humaine n’évolue que par la remise en question permanente des travaux précédents !
Penser autrement est souvent « complotiste » et l’on revoit apparaître, de « Grands Inquisiteurs » ou « ayatollahs » et pas seulement en Iran, appuyés par cette nouvelle Nomenklatura qu’on vient d’évoquer pour pourchasser tous ceux qui, dans le domaine de la pensée, ont une approche différente, jugée de ce fait hérétique ! Il est intéressant par exemple de constater que tous les économistes qui proposent une autre voie, soient classés « hétérodoxes », terme également à connotation religieuse. Il est éclairant que ces « différents » ne soient pratiquement jamais devenus Professeurs des Universités en France et restent maîtres de conférences. Cela en dit long sur ces « commissions de spécialistes » et l’autonomie de la science ! On peut en ce domaine compter sur le gourou Jean Tirolle, prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, pour empêcher l’émergence d’une section nouvelle du Conseil National des Universités (CNU) intitulée « économie et société[5] ». Et pourtant, comme le souligne Nicolas Postel, il existe bien « deux paradigmes concurrents d’analyse de l’économique : l’un, que nous qualifierons d’institutionnaliste, situe l’économie dans les sciences sociales ; l’autre, que nous qualifierons de formel, considère que les questions économiques relèvent davantage d’une branche de la logique[6] ». Cette dernière est incarnée par le courant dominant. Évidemment la caste au pouvoir a soutenu Jean Tirolle contre l’innovation proposée par l’Association française d’économie politique (Afep) soutenue notamment par Thomas Piketty. « Les économistes mainstream pourront continuer à se choisir entre eux[7] ».
Toujours faire semblant de traiter les effets pour éviter de s’attaquer aux causes ! En effet, cette contestation épistémologique ou critique n’est peut pas entrer dans l’air du temps qui doit être immédiatement rentable. Et pourtant, c’est cette sottise qui nous a rendus et nous rend toujours dépendants des médicaments, des objets technologiques voire de simples produits de fabrication du bâtiment, ferraille, ciment… principalement de l’Asie, mais aussi parfois de nos voisins.
Remercions les inventeurs de ce dérivé du toyotisme qu’est le « flux tendu ». Cette pratique qu’on a imposée au nom des coûts de stockage, est l’une des nombreuses illusions de la période monétariste qui, nous l’espérons, s’achève et va mettre un terme au règne des héritiers des Chicago boys. Le coût monétaire mais aussi économique et social pèse sur la majeure partie de la population alors que les profits ont, eux, été engrangés par les financiers depuis plusieurs décennies.
Comme toujours : Faire semblant de traiter les effets pour éviter de s’attaquer aux causes. Bien entendu, ce sont les fonds publics : « quoi qu’il en coûte » qui vont être appelés à renflouer les caisses privées, assurer la paix sociale notamment par les caisses d’allocations familiales détournées de leur vocation initiale, et pallier les incohérences de la politique européenne, notamment sur le prix de l’électricité[8]. La caste aux affaires est l’alliée des affairistes comme à chaque fois que cela se produit. Ne parle-t-on pas couramment de cette politique qui consiste à privatiser les bénéfices (c’est fait) pour nationaliser les pertes (c’est en cours depuis 2020 plus encore qu’avant). Il est bon, même si nous le savons tous, de rappeler que selon un rapport d’Oxfam la « fortune des Français les plus riches a davantage augmenté pendant la pandémie que ces dix dernières années[9] ».
Cette pratique qui découle de la recherche permanente de la maximisation des profits n’épargne évidemment pas la recherche dont on a déjà souligné son indigent budget.
Comme le souligne le philosophe Mathias Girel : « L’agenda des recherches est fixé par l’état-major des sociétés philanthropiques.
Autrement dit, une poignée de personnes peut décider de se désengager d’un champ de recherche du jour au lendemain si les conditions de visibilité ou d’obtention de résultats à court terme ne sont pas maximales[10]… » Tempérons toutefois l’optimisme du philosophe son quant à la vertu de la budgétisation publique du fait du courtermisme imposé par les budgets publics. Ils visent à valoriser depuis au moins 2007, la start-up à effet immédiat à la recherche dite fondamentale !
Ainsi en est-il en pratique hospitalière, les coûts réels de certaines opérations nécessitant l’utilisation de technologies innovantes sont parfois d’un tiers plus élevés que la prise en charge par l’Assurance Maladie ! Cela favorise et les retards d’investissement des établissements et les dépassements d’honoraires dans les établissements privés entraînant ce que l’on appelle une médecine à deux vitesses, l’inverse donc de l’objectif de la protection sociale.
Faire semblant de traiter les effets pour éviter de s’attaquer aux causes est donc le fruit de ces choix idéologiques imposés et que toute la caste politicienne a parfaitement intégré rendant même inutile pour beaucoup, le vote et donc superflue la démocratie. « Bonnet blanc et blanc bonnet », utilisé par Jacques Duclos pour caractériser le deuxième tour de scrutin de la présidentielle française de 1969 qui opposait le « gaulliste » Georges Pompidou et le centriste Alain Poher, est désormais le lot de quasiment toute élection ! Même ceux qui sont placés aux extrêmes sont accusés indistinctement de « populisme », sans que personne ne sache bien ce dont il s’agit, sauf que c’est un terme péjoratif. Le but est évidemment de les dévaloriser grâce aux médias du mainstream en évitant précautionneusement tout débat sur les idées. La caste politique, malgré ses larmes de crocodile, se satisfait très bien d’occuper les postes électifs et d’en toucher les prébendes avec l’assentiment d’une infime minorité du corps électoral.
Et l’on s’étonne que la parole publique soit dévaluée et les élus de moins en moins reconnus voire « agressés » pour un certain nombre alors que les modalités de leur élection les rendent parfaitement illégitimes pour la plupart ! Ce n’est pas en aggravant les peines prévues pour ces méfaits au code pénal que l’on évitera de faire semblant de traiter les effets pour éviter de s’attaquer aux causes !
L’essentiel est surtout de ne pas poser de questions ou de poser de mauvaises questions sur les causes réelles. Lorsque nous étions jeunes étudiants en histoire à la Sorbonne, on nous disait que devant un texte, il faut toujours se poser la question « qui dit réellement quoi à qui ? ». C’est depuis longtemps une question que la plupart des médiocrates se refusent et même interdisent qu’on se la pose !
Nos lecteurs, s’il en reste après ce long réquisitoire, ont compris que nous nous situons loin du mainstream. Je suis particulièrement fier de ce numéro de l’automne car il apporte des contribuions de la francophonie dans toute sa diversité d’approches, de contextes, de d’hypothèses et de solutions !
La diversité se vit, elle ne se décrète pas par quotas !
Pour y entrer plus encore, nous avons décidé d’ouvrir nos colonnes, pour la deuxième fois, et pas la seconde, à une publication plutôt propre à la politique économique, qu’à la gestion au sens étroit du terme, celle du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF), consacrée à la Côte d’Ivoire. L’Afrique et les auteurs africains que vous pourrez lire dans les trois dossiers de ce numéro apportent une réflexion souvent différente, mais qui mène à réfléchir d’abord et parfois même très différemment vis-à-vis de nos stéréotypes de gestionnaires marqués par l’« étasunisme » ambiant. Nos collègues du Québec qui contribuent régulièrement à notre revue consolident ici dans le cas des PME, notre approche ouverte vers d’autres horizons. Universitaires comme enseignants-chercheurs et praticiens des écoles de commerce françaises constituent la deuxième source d’enrichissement de ce numéro !
Fréderic Joliot, prix Nobel de chimie 1935, invitait naguère les scientifiques « à se préoccuper de l’utilisation qui est faite de leurs découvertes[11] », à l’heure où les défis climatiques rendent plus utiles le recours à l’atome, c’est encore plus que d’actualité.
C’est à coup sûr dans cet esprit que nos auteurs travaillent pour que l’innovation organisationnelle en gestion serve réellement au progrès social et que nous ne soyons pas complices du faire semblant de traiter les effets pour éviter de s’attaquer aux causes !
1. Jean-Louis Legalery, (2008), The Prince of Darkness is back, https://blogs.mediapart.fr/jean-louis-legalery/blog/061008/prince-darkness-back.
2. London Weekend Television, membre du groupe ITV.
3. Laurent Mauduit (2008), « La Caste», enquête sur cette noblesse d’Etat qui a choisi le camp de l’aristocratie d’argent, La Découverte.
4. Virginie Martin et Béatrice Mabilon-Bonfils (2020), Pour sortir du mainstream économique – La science économique, une science entre auto-légitimation et croyance.
5. https://assoeconomiepolitique.org/dossier-nouvelle-section-au-cnu-economie-et-societe/.
6. Nicolas Postel, (2011). Le pluralisme est mort, vive le pluralisme !, L’Économie politique, 50, 6-31. https://doi.org/10.3917/leco.050.0006.
7. https://www.apses.org/spip.php?article5882#.Y5LjnHbMJPY.
8. Philippe Naszályi (2019), Electricité : l’hérésie de l’ouverture à la concurrence, https://www.marianne.net/agora/humeurs/energie-electricite-edf-heresie-concurrence.
9. https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/covid-19-quatre-questions-sur-l-enrichissement-des-grandes-fortunes-francaises-pendant-lapandemie_4931281.html.
10. Entretien avec Mathias Girel par Charline Zeitoun ( 2019) « La science est-elle en crise ? » CNRS Le Journal https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-science-est-elle-encrise.
11. Cité par Hélène Langevin-Joliot (2015). « Progrès scientifique et progrès : pour sortir de la confusion », Raison présente, vol. 194, no. 2, 2015, p. 19-29. https://doi.org/10.3917/rpre.194.0019.