Les négociations collectives aujourd’hui et demain
Cet appel à contributions de la Revue Interdisciplinaire Management & Humanisme, la RIMHE, préparé avec Marc Morin, Professeur d’Economie et sciences des organisations à l’ISC-Paris et qui a rejoint le comité de rédaction de la revue pour ce numéro, se propose de rassembler des travaux de recherche dans l’objectif de promouvoir le développement de la négociation sociale, et démontrer son efficience socioéconomique et sa capacité à produire du lien social dans une société qui se cherche elle-même des voies de sortie de crise.
Le chômage de masse, le sous-emploi, la fragmentation des classes sociales, l’évolution des conventions managériales et les tendances à l’individualisation du rapport salarial, une certaine défiance citoyenne à l’égard des syndicats institués…, constituent autant de facteurs de déstructuration progressive de l’idée syndicale.
C’est-à-dire d’une certaine conception du regroupement, du collectif, de l’association et de ses synergies cherchant, grâce à la coopération de ses membres, à constituer des forces collectives capables d’entrer, dans des contextes de plus ou moins grandes asymétries de pouvoir, dans des jeux de propositions et de contre-propositions pouvant débouchant sur des compromis. La qualité desdits compromis peut notamment être observée à la capacité des accords collectifs à favoriser l’émergence de résultats gagnant-gagnant qui, conciliant efficacité et éthique, échanges calculés et légitimité auprès des acteurs, loyauté des discussions et volontés de concession, produisent des régulations (Reynaud, 1995) susceptibles de se reproduire dans la durée. La négociation a en particulier pour caractéristiques centrales de produire des coopérations productives, de débloquer les processus de décision (Simon et March, 1964), de produire du lien ou encore du contrat social. Le fait que le syndicalisme soit en perte de vitesse, subissant également aujourd’hui sur un plan institutionnel l’érosion de ce que R. Castel (1995) nomme un processus d’individualisation décollectivisation, n’augure pas d’un redressement économique et de nouvelles régulations promettant une sortie de crise. Il convient plus généralement de prendre la négociation sociale au sérieux (Chambarlhac et alii, 2005). Au sein des modèles d’équilibre général des sciences économiques orthodoxes, et de leurs déclinaisons dans le mainstream, la tradition néo-classique standard dominante continue en effet à considérer que la négociation syndicale, en monopolisant peu ou prou l’offre de travail, en permettant aux salariés d’obtenir par la mobilisation des salaires plus élevés, ou en enrayant leur baisse, contredit les ajustements naturels des prix, et l’obtention du plein emploi ou d’un niveau d’emploi plus élevé. Au carrefour entre l’économie, la gestion et les sciences des organisations, plusieurs écoles institutionnelles, et postkeynésiennes, mettent a contrario en évidence le rôle porteur des syndicats et de la négociation qui, via l’institution de règles connues et acceptées de tous, la volonté de progresser vers des compromis, et en permettant selon l’hypothèse keynésienne classique à la demande de tirer l’offre de production derrière elle, peuvent avoir sur les équilibres économiques et la croissance des effets positifs qui surcompensent leurs impacts éventuellement négatifs transitant par exemple par certains degrés d’inflation (Freeman et Medoff, 1987 ; Laroche, 2012).
La stimulation à produire plus et mieux, via des salaires et des rapports contributions/rétributions jugés plus équitables par les acteurs du travail, l’instauration de climats de confiance et de cultures de dialogue réduisant les coûts des contestations, fidélisant les salariés et permettant au management de mieux se projeter dans l’avenir, l’incitation à utiliser certains outils de gestion collective, comme des échelles indiciaires qui dans l’entreprise participent à la diminution des coûts d’organisation interne, la prise de parole collective (Voice), qui se substitue à Exit (Hirschman, 1970) pour rééquilibrer l’entreprise défaillante…, constituent plusieurs de ces chaînes de réactions positives, suffisamment mises en évidence par la réalité et de nombreux travaux académiques pour ne plus être niées. Tous ces effets participent positivement à l’obtention de davantage
de croissance, Consulter le site de la revue http//www.rimhe.com d’emploi et de développement, et les recensions de plusieurs travaux macroéconomiques de grande ampleur (Fitoussi J. P. et alii, 2000) confirment que, dans les pays où les négociations sont relativement plus centralisées et organisées qu’ailleurs, les économies sont plus solides, ou supportent et amortissent mieux les chocs extérieurs. De ce point de vue, la vigueur de la croissance, durant les trente glorieuses, a aussi été portée au sein d’un régime keynésien – fordien par une certaine idée du syndicalisme. Ce dernier doit toutefois s’adapter à un nouvel environnement économique et institutionnel.
L’intensification des formes de concurrence internationale, déterminant certaines stratégies de flexibilité des firmes, la globalisation financière et la montée en puissance du pouvoir de l’économie financière, qui pèsent de tout leur poids sur les logiques industrielles et managériales, la conscience d’externalités négatives, qui mène le salarié à s’approprier des questions relevant de champs traditionnellement extérieurs à la vie au travail, l’apparition de certaines impasses politiques dans la définition des politiques économiques et sociales souhaitables…, appellent des changements, non pas de la nature de l’idée syndicale, mais des formes qu’elle pourrait revêtir et des nouveaux modèles d’organisation de la vie économique et sociale qu’elle pourrait susciter. La loi d’Août 2008, totalement appliquée à partir du 1er janvier 2013 et qui modifie les conditions de représentativité des syndicats en rendant les délégués éligibles au sein des entreprises, n’est pas exempte de critiques, mais elle va dans le sens d’une adaptation de l’idée syndicale à certaines grandes transformations de la société moderne en rapprochant les mandants salariés des mandataires-syndicaux.
Quelles seront alors, dans les dix années à venir, les grandes transformations affectant les processus de négociation dans et hors les entreprises ? L’informatisation croissante de la société et les NTIC (Freeman, 2003) pourraient-elles par exemple, en bouleversant les modes de circulation de l’information et de communication, stimuler l’émergence d’une nouvelle intelligence économique des négociations ? La défense des intérêts sur les lieux du travail va-t-elle ou non, et si oui comment, s’associer aux négociations de certains conflits d’intérêts connexes au strict monde du travail qui posent la question de la responsabilité sociale des entreprises en affectant plusieurs
de leurs parties prenantes, certaines ONG contournant par exemple des syndicats locaux pour obtenir gain de cause ?… Dans la foulée, quelles sont les propositions, les préconisations qui sont de nature à stimuler le développement des procédures de négociation sociale jusqu’à en faire un élément clé de la sortie de crise et de nouvelles régulations économiques et sociales ?
Le comité de rédaction constitué pour ce numéro portera une attention particulière aux travaux dessinant des pistes concrètes à la fois de renouveau de l’idée syndicale, et de celui des processus de négociation visant des résultats gagnant-gagnant porteur d’avenir et d’une sortie de crise. Il privilégiera également les approches transdisciplinaires. La posture épistémologique se donnant pour axe central de réflexion les changements organisationnels et institutionnels pour ce renouveau doit demeurer prégnante et constituer un socle commun aux chercheurs. Des élargissements sur des expériences étrangères, tenant compte des spécificités économiques et institutionnelles des syndicalismes et des économies par pays, seront bienvenus.
Références
Bourque R., Thuderoz C. (2002), Sociologie de la négociation, La Découverte, Paris.
Castel R. (1995), Les métamorphoses de la question sociale: une chronique du salariat, Hachette, Paris.
Chambarlhac G., Ubbiali G., Dir. (2005), Epistémologie du syndicalisme, construction disciplinaire de l’objet
syndical, L’Harmattan, Paris.
Fitoussi J. P., Passet O., Freyssinet J. (2000), Réduction du chômage, les réussites en Europe, Conseil d’Analyse
Economique, La Documentation Française, Paris.
Freeman R. B. (2003), Les syndicats et l’économie de l’information, in Allouche J., Coord., Encyclopédie des
ressources humaines, Vuibert, Paris, p.1471-1478.
Freeman R. B., Medoff J. L. (1987), Pourquoi les syndicats?, Economica, Paris.Hirschman A. (1970), Exit, voice and loyalty, Harvard University Press,
Cambridge.
Lallement M. (2008), Sociologie des relations professionnelles, La Découverte, Paris.
Laroche P. (2012), Syndicalisation et performance des entreprises : une synthèse de la littérature économique
récente, in Encyclopédie des ressources humaines, Allouche J., Coord., Vuibert, Paris, p. 1476-1484.
Reynaud J. D. (1995), Le conflit, la négociation et la règle, Octarès, Toulouse.
Simon H. A., March J. G. (1964), Les organisations. Dunod, Paris.
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Date limite d’envoi des articles :16 mai 2014
A : martine.brasseur@parisdescartes.fr
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