Le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) a été présentée en conseil des ministres le 22 juillet 2020. Cette loi est en préparation depuis plus d’un an, les rapports préparatoires ayant été remis à la Ministre le 23 septembre 2019. Alors que la loi doit être examinée à l’Assemblée nationale en septembre, la CJC fait le point et souhaite rappeler les positions qu’elle défend depuis le début des débats. Malgré plusieurs rendez-vous avec la Ministre et son cabinet, la CJC estime que la LPPR, telle qu’elle est présentée, ne répond pas aux attentes et aux besoins de la communauté de l’Enseignement supérieur et de la recherche en France, et en particulier à ceux des jeunes chercheur-ses. Ce communiqué revient sur la question des financements doctoraux, un combat que la CJC mène de longue date.
1/ Moins de trois doctorant-es sur quatre bénéficient d’un financement pour leur recherche en France
Le projet de LPPR prévoit une augmentation des crédits publics consacrés à la recherche en France. La CJC rappelle que les doctorant-es contribuent de manière significative à la recherche et à l’enseignement en France : ils et elles étaient 73 500 à réaliser une thèse en 2017[1]. Pourtant, moins de trois doctorant-es sur quatre bénéficient d’un financement pour leur projet doctoral, et un tiers seulement dans les disciplines relevant des Lettres, Sciences Humaines et Sociales (LSHS).
Ainsi, en 2017-2018, sur 16 827 nouveaux-elles doctorant-es inscrit-es en thèse, seul-es 11 748 étaient financé-es pour leur recherche : 34% via un contrat doctoral sur financement du MESRI, 10,6% via une CIFRE ; 10,5% via un organisme de recherche (CNRS par exemple) ; 7,6% via une collectivité territoriale[2].
Ce sont donc 5000 contrats doctoraux qui manquent chaque année pour que chaque doctorant-e soit financé-e pour sa recherche, soit 15 000 contrats doctoraux supplémentaires (un contrat doctoral dure trois ans) par rapport au nombre total de contrats actuellement en cours.
Ce sous-financement du doctorat entraîne des effets délétères pour les jeunes doctorant-es non-financé-es : précarité matérielle, affaiblissement du caractère professionnel du doctorat, allongement de la durée des thèses, baisse d’attractivité du doctorat. En effet, le nombre de doctorant-es en France diminue continuellement depuis 2009[3].
En toute logique, une LPPR ambitieuse devrait ainsi planifier une augmentation des crédits conduisant à ce que chaque doctorant-e soit financé-e pour sa recherche. Il s’agit d’une revendication de longue date portée par la CJC[4].
2/ La LPPR et le financement du doctorat : une augmentation très insuffisante du nombre de financements, sans calendrier ni budget précis
Le projet de LPPR se donne “l’objectif, à moyen terme, de financer tous les doctorants en formation initiale[5]”. Pour ce faire :
- Le rapport annexé au projet de LPPR propose d’augmenter de 20% le nombre de contrats doctoraux financés par le MESRI. Ceci équivaut à environ 4000 contrats doctoraux supplémentaires.
- Le rapport annexé prévoit également le doublement du nombre de CIFRE. Actuellement, environ 1 400 CIFRE sont signées chaque année[6].
- Le rapport annexé prévoit enfin que l’augmentation des crédits de l’ANR devrait permettre de recruter des doctorant-es dans le cadre de projets de recherche financés par l’ANR. Toutefois, il n’estime pas le nombre de recrutements attendus.
- L’article 4 du projet de LPPR crée un contrat doctoral de droit privé, sans pour autant estimer leur nombre attendu.
Pour la CJC, le projet de LPPR ne se donne pas les moyens de ses ambitions : le nombre de financements doctoraux prévus par le projet de loi reste bien en deçà des 15 000 financements doctoraux supplémentaires nécessaires afin que chaque doctorant-e soit financé-e pour sa recherche.
Par ailleurs, le doublement du nombre de CIFRE et l’augmentation de 20% du nombre de contrats doctoraux financés par le MESRI ne font l’objet d’aucun calendrier précis ni d’aucun chiffrage budgétaire, ce qui est pour le moins regrettable pour un exercice de “programmation pluriannuelle”. De la même façon, les effets attendus en termes de financements doctoraux de l’augmentation des crédits de l’ANR et de la création d’un contrat doctoral de droit privé ne font l’objet d’aucun exercice prévisionnel.
3/ Revaloriser la rémunération des doctorant-es contractuel-les : une mesure bienvenue, mais qui reste à concrétiser
Le rapport annexé à la LPPR prévoit de revaloriser de 30% la rémunération des “nouveaux” et nouvelles doctorant-es contractuel-les financé-es par le MESRI.
Pour la CJC, une telle revalorisation est plus que bienvenue[7] : la rémunération actuelle des doctorant-es contractuel-les s’établit à 1 758 euros brut / mois, un salaire à peine supérieur au SMIC (1 539 brut / mois). Cette revalorisation de 30% permettrait d’harmoniser la rémunération des doctorant-es contractuel-les financé-es par le MESRI avec celle des doctorant-es financé-es par le CNRS (2 135 euros brut / mois) et des doctorant-es en CIFRE (1 957 euros brut / mois).
Pour la CJC, cette revalorisation n’est pourtant à ce stade rien de plus qu’un voeu pieux : elle n’est assortie d’aucun calendrier précis (le rapport annexé indique seulement que cette revalorisation se fera “progressivement entre 2021 et 2023”[8]) ni d’aucun chiffrage budgétaire étayé. De plus, la CJC déplore que cette revalorisation ne s’applique qu’aux “nouveaux contrats doctoraux” : pendant une période d’au moins trois ans, des doctorant-es contractuel-les réalisant le même travail seront payé-es différemment !
4/ La CJC revendique 15 000 financements doctoraux supplémentaires, dont au moins 6 000 d’ici 2022
Pour la CJC, une LPPR ambitieuse et bénéfique aux jeunes chercheur-ses se doit de planifier une augmentation de 15 000 financements doctoraux supplémentaires afin que chaque doctorant-e soit rémunéré-e pour son travail de recherche. Cette augmentation doit être réalisée selon un calendrier rigoureux et un budget précis. Il en va de même pour la revalorisation des doctorant-es contractuel-les financé-es par le MESRI, devant bénéficier à toutes et tous et pas uniquement aux nouveaux contrats.
Pour être crédible, un tel calendrier devrait prévoir qu’une augmentation significative des financements doctoraux supplémentaires sera réalisée lors des exercices budgétaires 2021 et 2022, c’est-à-dire la période durant laquelle la majorité actuelle est au pouvoir. La LPPR n’est en effet pas contraignante pour les majorités futures.
Un exercice de programmation réussie, permettant à terme de financer tous les doctorant-es pour leur recherche, pourrait ainsi prendre la forme du tableau suivant, inscrit dans le rapport annexé à la LPPR ou, mieux encore, dans un article 2 bis de la loi :
Au niveau budgétaire, à titre indicatif, la CJC souligne que :
- Un contrat doctoral financé par le MESRI représente un investissement de 2 500 euros par mois pour une université (toutes charges comprises). Une augmentation de 4 000 contrats telle que prévue par le rapport annexé au projet de LPPR représente ainsi un budget supplémentaire annuel de 140 millions d’euros par an. Cette somme doit être augmentée de 30% si l’on tient compte de la revalorisation de la rémunération des contrats doctoraux promise par le rapport annexé.
- La subvention annuelle versée par l’ANRT[9] aux employeurs recrutant des doctorant-es dans le cadre d’une CIFRE est de 14 000 euros (sans compter les dégrèvements fiscaux potentiels via le crédit d’impôt recherche pendant et après le doctorat). Doubler le nombre de CIFRE (de 1 400 à 2 800 conventions signées par an) représente ainsi un budget supplémentaire de 19,6 millions d’euros par an.
Il s’agit de dépenses conséquentes. On peine à voir comment les crédits supplémentaires prévus par le projet de LPPR à son article 2 permettront de les couvrir. La CJC sera particulièrement vigilante vis-à-vis du Projet de loi de finances (PLF) 2021 que le gouvernement soumettra au Parlement cet automne : les mesures annoncées par la LPPR en faveur des doctorant-es ne pourront être crédibles que si le PLF 2021 contient une augmentation significative des crédits, avec un fléchage précis.
Par ailleurs, puisque le gouvernement a raté l’occasion lors de la troisième Loi de finances rectificative, le PLF 2021 devra également compenser les prolongations promises par le ministère pour les contrats de recherche (doctoraux, postdocs, ATER) affectés par la crise sanitaire[10]. Ces prolongations ne pourront se faire au détriment de la création de nouveaux financements doctoraux dans le cadre de la LPPR.
5/ Une loi pour les jeunes chercheur-ses sans le soutien des jeunes chercheur-ses ?
Depuis janvier 2020, dans sa communication autour de la LPPR, le MESRI et Frédérique Vidal ont abondamment promu l’idée qu’il s’agissait d’une loi pour les jeunes chercheur-ses[11]. Pourtant, force est de constater que le projet de LPPR n’est pas à la hauteur des ambitions annoncées[12] : les financements supplémentaires alloués aux doctorant-es sont très largement insuffisants, le calendrier est vague et le chiffrage imprécis.
La CJC regrette que la concertation avec le Ministère ait été aussi limitée et si peu constructive au cours de l’élaboration du projet de LPPR. La CJC formule pourtant des recommandations et des demandes depuis de nombreuses années, qui sont le fruit d’un travail de terrain quotidien, au contact des principaux et principales intéressé-es. Nous espérons que le dialogue sera plus fructueux avec les parlementaires, en particulier les rapporteur-es de la majorité que la CJC doit rencontrer début septembre.
Sans une amélioration significative du projet de loi et sa traduction effective dans les lois de finances 2021 et 2022, le gouvernement et la majorité parlementaire prennent le risque de faire une loi pour les jeunes chercheur-ses sans le soutien des jeunes chercheur-ses et de leur porte-parole qu’est la CJC.
La CJC revendique par conséquent la création de 15 000 financements doctoraux supplémentaires, dont au moins 6 000 pour l’horizon 2022, ainsi la revalorisation immédiate de l’ensemble des doctorant-es contractuel-les financé-es par le MESRI. Il s’agit de conditions indispensables pour que la LPPR soit réellement une loi soutenant les jeunes chercheur-ses et la qualité de la recherche.
[1] MESRI, L’état de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en France, 2019, p. 84.
[2] Ibid, p. 85.
[3] Cette situation problématique est bien documentée dans les rapports préparatoires de la LPPR et dans le rapport annexé au projet de LPPR. Cf. LPPR – Groupe de travail 2, Attractivité des emplois et des carrières scientifiques, 2019, p. 23-25 et Rapport annexé au projet de LPPR, alinéas 118 à 126.
[4] Cf. Motion du 4 mars 2018 : “La CJC demande la création de contrats doctoraux supplémentaires fléchés sur les disciplines comportant un nombre important de doctorantes et de doctorants non financé-es, en particulier les disciplines de LSHS, dans le but de résorber la précarité des doctorants et doctorantes sans réduction du nombre d’inscrit-es en doctorat dans ces disciplines.”
[5] Rapport annexé au projet de LPPR, alinéa 127.
[6] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid22130/les-cifre.html
[7] Cf. Motion du 21 février 2016 : “La CJC souhaite la revalorisation de la rémunération liée à l’activité de recherche en doctorat.”
[8]Le communiqué du MESRI du 22/07/20 lors de la présentation du projet de LPPR en Conseil des ministres indique quant à lui une revalorisation “au terme de la programmation”, soit d’ici 2030 !
[9] Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), en charge de superviser la conclusion des CIFRE et de verser les subventions aux employeurs.
[10] MESRI, Circulaire du 26 juin 2020 relative à la prolongation des contrats doctoraux, certains contrats d’ATER et contrats de recherche affectés par la COVID-19.
[11] Voir entre autres : Communiqué du MESRI, Présentation du projet de loi de programmation de la recherche en Conseil des ministres, 22/07/20 ; Communiqué du MESRI, LPPR : plus de temps aux enseignants-chercheurs en S.H.S. pour poursuivre leurs recherches, 25/02/20 ; Communiqué du MESRI, 120 millions d’euros pour revaloriser les carrières de la recherche en 2021, 23/01/20.
[12] Ainsi que le souligne également l’Avis du Conseil économique, social et environnemental sur la LPPR du 24 juin 2020.