Lyssenko est de retour !
par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG
Il n’est pas certain que ce retour-là, contrairement au retour de Michaël, tant attendu dans la chanson de la regrettée Rika Zaraï, nous incite à chanter « alléluia[1] » ! Ceux qui lisent nos éditoriaux depuis quelques années, savent que nous ne manquons jamais de mettre en parallèle, la logique qui inspirait les régimes de derrière le « rideau de fer » et celle qui porte le néolibéralisme, plus ou moins monétariste, qui prend son inspiration en Ayn Rand (1905-1982). Le même matérialisme fondateur, tient pour rien l’Homme et ses aspirations spirituelles !
Ces derniers temps, le scientisme dont nous évoquions le retour[2] a tendance à profiter de la crise pandémique pour s’épanouir dans la caste « Mba-isée » que fustigeait H. Mintzberg et qui tient les rênes des différents états. Il faut ne rien connaître à rien pour s’étonner ou s’émerveiller qu’ils appliquent, sauf très rares exceptions, les mêmes politiques autoritaires, inspirées par la peur et la certitude d’appartenir aux « élus » puisqu’ils sont formés sur ce même modèle désincarné ! Ils se sont adjoint, depuis la pandémie, une coterie de Diafoirus, plus ou moins galonnés, parfois au passé prestigieux, mais « la vieillesse est un naufrage[3] », disait déjà le Général ! Quelques carriéristes, et ce mot est aussi bien féminin que masculin, quelques chevaux de retour, quelques « utilités » du moins pour elles-mêmes, et l’on vous bâtit un « conseil scientifique » qui va à peu près, tout dire et son contraire, depuis mars 2020, avec la docte suffisance que garantit la méconnaissance des choses et des gens !
Lyssenko est bien de retour !
Car rappelons-le, le biologiste soviétique qui inspira les théories les plus absurdes ne détruisit pas seulement la génétique soviétique et celle des malheureux pays satellites, mais il fut considéré comme un maître par nombre de sommités scientifiques en Europe de l’Ouest et tout particulièrement en France[4] ! Notre malheureux pays est donc doté d’une prédisposition naturelle à considérer que l’idéologie est plus importante que les faits ! Imposer la science prolétarienne à la science bourgeoise, c’était une belle victoire y compris au CNRS dans les années 1950. La biologie « progressiste et matérialiste », pouvait enfin triompher de la « réactionnaire », idéaliste et mystique ! Car évidemment, s’il y a victoire, il y a donc vainqueurs et vaincus ! Depuis mars 2020, nous avons tous assisté à ces débats, ces combats, ces invectives, ces condamnations définitives voire ces mises-à-mort de celui qui ne pense pas comme la meute, de ceux que l’ « on » a appelés les « experts » ! Les populations ébahies, ont ainsi découvert que le monde de la science n’est pas un long fleuve tranquille, que les « médecins » dont ils pensaient que leur premier but était de les guérir ou du moins de les soigner, ne connaissant pas ce nouveau mal, prenaient des positions très personnelles, et pour le moins, dominantes et autoritaires voire pire sur les contemporains qui les écoutaient avec stupéfaction, étonnement ou effroi. Parfois, si l’on croit les vaticinations de ces nouvelles Pythies que sont ces instituts de sondage, c’est même la soumission qui a répondu : « Punissez-moi plus, et surtout punissez plus mon voisin indocile que je vous dénonce, pour que nous soyons sauvés de ce mal » ! Encore que l’on ne soit même pas sûr que c’est « nous », mais bien plutôt « je » sois sauvé, qu’il faudrait écrire tant « la vertu d’égoïsme[5] » ou « l’égoïsme rationnel » contre « l’altruisme », qui fonde la thèse néolibérale, a façonné les modes de comportements individualisés à l’extrême par la segmentation marketing qui nous a même valu le vainqueur de la dernière élection présidentielle française. Imposer à l’autre le silence est bien ce qui prévaut et a, prévalu depuis quelques mois. La nouveauté est que cela se passe c oram populo et non plus seulement dans le silence des « labos » et le secret des salles de conseil plus ou moins feutrées des universités et institutions de recherche, où le poignard dans le dos et l’ostracisme sont depuis longtemps un jeu quotidien entre « chers collègues » ! Pour corser le tout, et pour bien ressusciter les pratiques de Lyssenko, le pouvoir politique s’est bien engagé dans cette opération où le traditionnel « caviardage » de la presse, habituel en temps de guerre, est remplacé par un matraquage gouvernemental destiné à décrédibiliser toute voix discordante ! Qui n’a pas entendu, la Porte-parole du Gouvernement ou le ministre de la Santé, user de l’argument de l’autorité sanitaire pour fustiger les porteurs de masque, qui n’a pas entendu le Directeur Général de la santé déclarer devant le Sénat que le masque en extérieur ne sert à rien, n’a pas compris combien a été instrumentalisée la connaissance scientifique pour justifier des politiques insanes. Bien plus, à l’injure verbale contre tous ceux qui estimaient qu’il existe une autre voie, s’est doublée, non pas de la conduite au Goulag, mais de l’interdiction de prescrire voire d’exercer sa responsabilité hospitalière car les laquais administratifs sont souvent plus cruels que les maîtres. Jamais, on n’avait vu un ministre s’emparer d’un article qu’il n’avait certainement pas lu, pour ordonner au Haut Conseil en Santé publique de proposer « sous 48 heures une révision des règles dérogatoires de prescription » de divers traitements comme l’hydroxychloroquine quelqu’opinion qu’on puisse avoir sur l’efficacité de ce traitement[6] ! Faire taire un confrère plus brillant que soi en se fondant sur ce qui est apparu comme une farce scientifique, aurait dû conduire le même ministre et ses affidés à la démission honteuse, mais pas si l’on comprend ce qu’est l’esprit lyssenkiste qui prévaut désormais avec le scientisme ambiant dans notre pays qui n’a rien à envier aux tentatives d’encadrer la recherche médicale qu’on a vu se développer sous Trump. La même idéologie scientiste et répressive produit toujours les mêmes politiques qui imposent au nom d’idéologies politiques, économiques et parfois religieuses, un embrigadement de la recherche, une persécution des « dissidents » et au final une forme d’arriération mentale qui ne favorise ni l’innovation, ni la science, ni le progrès humain. « Le phénomène Lyssenko est un exemple extrême de la perversion de la science par l’idéologie, souvent avec l’assentiment de la communauté scientifique. Est-il aussi certain que ce type d’événement ne puisse arriver aujourd’hui ? » est la question que posait en 2005 Michel Garbarz[7]. À l’évidence, 2020 vient de lui apporter une réponse dans le champ d’expertise qui est le sien et qui gère désormais nos vies, et même parfois nos pensées : le secteur sanitaire !
La gestion sous influence des règles et normes sanitaires, voilà bien ce qui est nouveau et devrait susciter nombre de recherches. Pour le moment, nous marquons notre résistance à la pensée serve et affirmons notre conviction que la recherche doit être libre, en consacrant le dossier liminaire qui invite à « Repenser l’organisation » et en dédiant un cahier spécial à « l’entreprise libérée ».
Repenser l’organisation avant, deviendra plus qu’un objectif à l’issue de la Crise de la Covid-19. « Changement organisationnel innovant et institution publique » ouvre notre réflexion grâce à Laurie Marrauld, Claude Sicotte de l’EHESP et Stéphane Bourez de l’Institut Curie, et traite évidemment des systèmes de santé publique. La crownd delivery est un enjeu déterminant de l’organisation de ce dernier kilomètre avant le client final. Le confinement a rendu plus actuel encore de s’interroger sur la livraison. Cette innovation à développer, est traitée dans l’article qu’Oumalma Belhaj et Gille Paché consacrent à « une lecture collaborative de la logistique ». Repenser l’enseignement du management : 10 ans après sa publication, les Français vont-ils (enfin) lire le rapport Carnegie ? est la question que pose à juste titre Yoann Bazin aux institutions d’enseignement afin d’engager des réformes solides et d’avenir !
Remercions enfin, les professeurs Annabelle Jaouen et Sylvie Sammut de l’Université de Montpellier d’avoir animé et dirigé la publication du cahier sur « l’entreprise libérée » ! Comme elles, nous pensons que « l’adoption de l’entreprise libérée exige une transformation majeure des pratiques traditionnelles de l’entreprise » et qu’il nous faut trouver « comment l’on peut éveiller, dès les bancs de l’université ou des business schools, les futurs managers à devenir des leaders libérateurs ».
Voilà sans doute l’un des moyens d’éviter, du moins dans notre domaine, le retour de Lyssenko !
1. « Michaël », paroles et musique de Jacques Plante (1963), chanson interprétée par Rika Zaraï, (1938-2020) https://www.youtube.com/watch?v=gUYDrVzKU8k
2. Naszályi Philippe, « Au secours le « scientisme » est de retour ! », La Revue des Sciences de Gestion , 2019/2 (n° 296), p. 1-2. DOI : 10.3917/rsg.296.0001. URL : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2019-2-page-1.htm
3. Charles de Gaulle (1890-1970), Mémoires de guerre , tome I, L’Appel , 1940-1942 (1954).
4. Walter Gratzer, The Lysenko affair : the eclipse of reason, Medecine sciences : M/S 21(2):203-6, march 2005,
5. The Virtue of Selfishness: A New Concept of Egoism, 19 essais de Ayn Rand et Nathanaël Branden, 1964.
6. Tweet d’Olivier Véran : « Suite à la publication dans The Lancet d’une étude alertant sur l’inefficacité et les risques de certains traitements du Covid-19 dont l’hydroxychloroquine, j’ai saisi le HCSP pour qu’il l’analyse et me propose sous 48 heures une révision des règles dérogatoires de prescription » 23 mai 2020.
7. L’affaire Lyssenko, une éclipse de la raison, traduit par Michel Garbarz, https://www.erudit.org/fr/revues/ms/2005-v21-n2-ms870/010555ar/