Modifié le 3 août 2019.
L’Éducation nationale n’est pas une administration comme les autres dans la mesure où elle exerce une fonction très particulière : elle est chargée de l’instruction publique, c’est-à-dire qu’à travers la mission de transmission des connaissances elle doit contribuer à permettre une égalité des chances entre tous les jeunes Français. Même Napoléon Bonaparte avait compris qu’il était des missions qui devaient donner lieu à des organisations administratives spécifiques et de fait, ne pas être placées sous l’autorité des préfets qui par ailleurs, exercent le rôle de représentant de l’État dans un département. C’est ainsi que l’Armée, la Justice mais aussi l’Éducation relevaient d’une administration spécifique dès l’Empire.
La fonction rectorale est une création napoléonienne de 1809 et les pourtours des circonscriptions territoriales appelées académies furent les mêmes que pour les ressorts des Cours d’Appel. Il était alors évident que les militaires, les enseignants et les magistrats devaient être administrés de manière singulière en raison des spécificités inhérentes aux missions qu’ils exercent. Pour l’Éducation, la principale spécificité est bien entendu de nature pédagogique. L’Empereur avait donc pris soin de s’assurer que les recteurs étaient à la fois docteurs (c’est-à-dire titulaires d’un doctorat, le plus haut grade universitaire) et familiers des questions pédagogiques. Force est de constater que l’actuel Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, semble avoir oublié certains fondamentaux très signifiants pour notre système éducatif alors qu’il est pourtant lui-même docteur, professeur des universités (agrégé des facultés de droit), ancien recteur d’académie et ancien directeur général de l’enseignement scolaire (D.G.E.S.C.O.).
Au cours des derniers mois, plusieurs faits sont très significatifs et laissent à penser que la maxime du Ministre de l’Éducation nationale est devenue : « cachez donc ces spécificités que je ne saurais voir ! ». De quoi s’agit-il ? Il y a au moins trois faits très marquants qui obligent à s’interroger sur son action.
En premier lieu, il a accepté que soient modifiées les règles de nomination des recteurs. Alors que depuis une dizaine d’années déjà, les règles de nomination des recteurs avaient été assouplies et que 20% d’entre eux pouvaient ne pas être des universitaires, un décret daté du 3 octobre 2018 rehausse ce seuil à 40%. Cela a d’ailleurs permis opportunément de nommer à la tête de l’académie de Versailles une camarade de promotion d’Emmanuel Macron. Ceci étant, le plus grave est sans doute ailleurs, car si l’on peut accepter l’idée que certains recteurs aient un profil « non-universitaire », le fait que leur nombre puisse quasiment atteindre la moitié des recteurs en exercice est une modification substantielle de la vision que le ministre a de la fonction de recteur. Cela consiste à faire de plus en plus du recteur un simple responsable administratif et cela revient à considérer que la gestion des questions éducatives ne nécessite pas de connaissance profonde et intime de la chose pédagogique. Je n’arrive pas à me résoudre à une telle vision. D’ailleurs, c’est aussi la raison pour laquelle je continuerai à me battre pour que les directeurs de nos grands organismes de recherche soient titulaires d’un doctorat, non pas par mesure protectionniste ou corporatiste, mais parce que je reste intimement persuadé que cela donne à la fois une meilleure connaissance de ce qui se passe réellement dans l’activité de recherche et que cela assure une meilleure légitimité lorsque l’on suggère des évolutions organisationnelles, ces dernières n’étant alors pas « hors-sol » mais liées à un vécu personnel qui donnent sens à la prise de décision et à l’action.
La deuxième décision qui nie les spécificités de l’Éducation nationale, c’est la volonté de Jean-Michel Blanquer de calquer l’organisation des rectorats sur celle des nouvelles régions XXL issues de la réforme territoriale. Ainsi, là où il y avait trois recteurs de plein exercice à Reims pour la Champagne-Ardenne, à Nancy pour la Lorraine et à Strasbourg pour l’Alsace, il y a désormais un recteur de région académique à Nancy qui chapote les deux autres et surtout qui est le seul responsable du budget opérationnel « soutien », c’est-à-dire celui qui donne aux recteurs les moyens de faire fonctionner leur administration. Désormais les recteurs qui ne sont pas recteurs de régions académiques vont devoir négocier leurs moyens auprès des recteurs de région académique, cela modifie le rôle même des recteurs, on s’éloigne dangereusement du terrain et l’on crée des recteurs à deux vitesses. De toute évidence, à cette échelle, les aspects pédagogiques ne sont plus traités, l’Éducation nationale est devenue un simple poste de dépense là où au contraire, il faut la voir comme un investissement sur l’avenir. D’ailleurs, la fameuse phrase que l’on prête à Abraham Lincoln est plus que jamais d’actualité : « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez donc l’ignorance ».
Enfin, troisième décision très récente, le 24 juillet a été nommé un nouveau directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale. D’habitude ce poste est occupé par quelqu’un qui a fait ses preuves comme recteur d’académie et surtout qui est reconnu comme un spécialiste des questions éducatives. Là encore, le nouveau DGESCO* nommé par Jean-Michel Blanquer est un ancien élève de l’E.N.A. qui a un profil de haut fonctionnaire type : il est avant tout un administrateur. Ce n’est évidemment pas une critique de la personne, de tels profils sont très légitimes à la tête de certaines administrations, mais lorsque Jean-Michel Blanquer nomme un tel profil à la tête de la DGESCO il signifie que cette direction est finalement une direction comme une autre. Je conteste vivement une telle vision car elle tend à banaliser la question éducative alors qu’elle est stratégique.
En tout cas, tout cela montre une chose : Jean-Michel Blanquer a perdu le cap, il n’a plus de boussole. Il s’est laissé enfermer dans une vision technocratique de l’Éducation nationale. Quel gâchis pour quelqu’un qui avait pourtant le potentiel et le parcours pour faire de l’Éducation nationale une mission stratégique pour « armer » en connaissances et en compétences les générations futures. Désormais, nous sommes face à l’« ère du vide » où la communication et la vision technocratique l’emportent sur le fond. Quel dommage !
* Directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), Edouard Geffray, Conseiller d’Etat jusque là Directeur général des ressources humaines de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et n’étant jamais passé par l’enseignement (NDLR)
Patrick HETZEL
Professeur des Universités en Sciences de Gestion,
Ancien Directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle au Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
Député du Bas-Rhin