Modifié le 29 mars 2017.
Comment les cabinets de conseil en stratégie procèdent-ils pour imposer leur offre sur les marchés ? Comment font-ils pour qu’au même moment la quasi-totalité des managers utilisent le même champ lexical, emploient la même pratique de gestion ? Cet ouvrage met en évidence les techniques pour y parvenir, en décryptant le protocole de production, de légitimation et de diffusion d’un dispositif de gestion au sein des médias spécialisés, des universités et des entreprises : La Fabrique du Prêt-à-Penser est en route… selon Romain Zerbib.
Le Prêt-à-Penser en fabrication
Nous avons déjà tous assisté à un séminaire, une réunion où nombre de dirigeants employaient le même champ lexical et s’appuyaient sur un même outil, une même logique, émanant généralement d’une firme ou d’un pays affichant une insolente croissance. Et quelques mois plus tard… plus rien. La solution miracle semblait déjà remplacée par une autre formule idoine et son cortège d’histoires incroyables. Les managers suivent aussi des modes et ont parfois, en la matière, des comportements peu rationnels.
Quels mécanismes induisent une telle uniformisation ? Sommes-nous de zélés suiveurs, soumis à une industrie du prêt-à-penser ? Si oui, comment procèdent au juste les architectes en question pour imposer leurs normes sur le marché ?
Un cas d’école d’abord : en 1972, soit deux ans après le lancement officiel de la matrice de portefeuille (qui est une représentation graphique des différents domaines d’activités stratégiques de l’entreprise dans le but d’évaluer sa compétitivité et d’en déduire une stratégie), 100 multinationales américaines en avaient adopté une. Et, six ans plus tard, 75% des firmes du fameux classement Fortune 500 emboîteront le pas. Moult études ont pourtant démontré que les entreprises ayant eu recours aux matrices ont obtenu de moins bons résultats que les autres. Et il ne s’agit ici nullement d’un cas isolé : depuis un siècle environ, de multiples pratiques se sont succédées à intervalles plus ou moins réguliers pour venir orienter – de façon significative – les pratiques de gestion des firmes du monde en entier.
Nombre de chercheurs se sont en conséquence interrogés sur les motifs d’un tel phénomène. Une première explication suggère que les managers adoptent une pratique car elle permet de répondre le plus simplement et efficacement possible aux contraintes techniques auxquelles ils sont confrontés. Royston Greenwood et Bob Hinings observent toutefois que cette explication n’est guère satisfaisante dans la mesure où elle ne permet pas de comprendre pourquoi un grand nombre de managers adoptent de façon quasi simultanée la même pratique, alors qu’ils appartiennent à des secteurs d’activités différents, soumis à des logiques distinctes et des cycles économiques particuliers.
La théorie néo-institutionnelle et la théorie des modes managériales constituent néanmoins deux angles d’analyse en mesure de dénouer cette intrigue à travers la mise en évidence de cinq facteurs explicatifs. Ils supposent que les managers – en partie à cause de la pression normative qu’ils subissent – convoiteraient en priorité les pratiques étant présentées, au sein du discours promotionnel, comme étant simples, modernes, efficaces et rationnelles.