Modifié le 10 mars 2024.
Excidere
par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG
Puisque tous ceux qui se pensent importants, utilisent le « globish », cette langue grégaire, née dans les bas-fonds des boutiquiers, poursuivons notre retour au latin. Excidere, c’est-à-dire « tomber » est le thème dominant de ce premier numéro de 2021. Toute la richesse des problématiques traitées, découle de ce mot qui désigne tout à la fois ce qui vient du sort et du hasard, de l’action malencontreuse comme de la volonté, de la faute morale comme du fruit des circonstances ou de l’environnement… en résumé, en provenance des hommes et des dieux !
Échéances si chères aux financiers comme aux politiciens et déchéances plus propres aux moralistes et aux juristes sont les filles d’échoir, venu du latin populaire excadere, tout comme du classique excidere : tomber !
Comprendre les échecs, qui ne sont pas qu’un jeu d’attention et de logique, est bien un thème fondamental en sciences de gestion. « Loin d’être un événement rare qui n’arrive qu’aux autres, la défaillance et sa forme la plus extrême, la faillite, touche toutes les organisations. L’échec affecte non seulement les conditions de vie des salariés mais aussi les économies de villes et de régions entières et leur tissu social » écrivent avec raison Xavier Brédart et Éric Séverin dans l’introduction au dossier dont ils ont accepté d’être les « éditeurs associés » (page 11).
Ces années COVID, car on peut désormais les appeler ainsi, n’ont pas encore apporté leurs lots de défaillances et de faillites qui devraient découler de cet arrêt ou de cette décélération brutale des économies, en proie à la pandémie.
Beaucoup de gouvernements dont, et ce n’est pas le moindre, celui d’Allemagne, ont jeté aux orties une partie des dogmes malthusiens issus du monétarisme qui sévissait depuis M. Thatcher et R. Reagan. On ne sait toutefois pas comment se produira cet « après-covid » qui tarde à venir : retour aux mesures drastiques, terme venu de la pharmacopée purgative et si cher aux néolibéraux ou « nouveau monde » au contour encore plus incertain qu’il n’est souvent qu’un eldorado de la dette infinie ou une utopie !
Laissons aux économistes le soin de proposer des solutions pour « l’après », d’autant que les français se sont dotés depuis octobre 2020 d’un Comité de Datation des Cycles de l’Économie Française (CDCEF)[1] qui, de l’analyse du passé pourrait permettre de mieux appréhender l’avenir.
Nous y reviendrons dans un numéro prochain. Il est désormais permis de rêver qu’empruntant enfin à l’histoire sa sagesse, comme le font depuis longtemps les bons gestionnaires, les économistes puissent apporter des propositions voire une méthode, plutôt que les certitudes dogmatiques.
Celles qu’ils nous ont assénées depuis des lustres, notamment celles des prétendus Nobel, sectateurs sectaires du mainstream, en inspirant les politiques publiques, ont conduit régulièrement dans des culs-de-sac avec leur lot de pauvreté, d’inégalités et de régression !
Pour ce qui concerne la France, nous ne redirons jamais assez[2] combien la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) de 2001, et, mais pas seulement, la désastreuse révision générale des politiques publiques (RGPP) appliquée de 2007 à 2012, sont mortifères pour nos services publics notamment ceux de la santé, mais aussi de la recherche.
Citons à l’appui une parole d’expert, en l’occurrence une experte, Suzanne Maury qui sur le site même de Vie publique déclare : « La démarche d’évaluation des politiques publiques mise en place par la LOLF apparaît comme simpliste et la “culture de la performance” censée en résulter est peu à peu devenue une simple formule, d’autant que la LOLF s’est traduite pour les services déconcentrés par la nécessité d’alimenter un système d’information lourd et peu utilisé[3] ». On ne saurait mieux qualifier ce que nous appelons un pays sous administré par une bureaucratie pléthorique, tentaculaire et d’autant plus arbitraire qu’elle ne sait à peu près rien des réalités sur lesquelles elle exerce son autorité.
Même en coupant le cou à l’une des innombrables fausses études que véhiculent sans les vérifier, hommes et femmes politiques pour apparaître experts et « journalistes » qui ont oublié leur manuel de déontologie en ne vérifiant pas leurs sources, on ne peut, comme le remarque fort justement, Serge Besanger[4], que constater qu’ « il y a donc à la fois trop de postes administratifs, déclarés ou non en tant que tels et trop de tâches administratives déléguées au personnel soignant et coûtant trop cher » dans les hôpitaux français, lorsqu’un médecin comme au CHRU de Nancy, consacre plus de 30 % de sa journée de travail à des tâches administratives[5] !
Effectivement, « Le bilan de la LOLF est décevant » poursuit encore Suzanne Maury, et c’est même la Cour des comptes, « pourtant très favorable à ses choix de principe », (et pour cause puisque le Président de cette dernière, le socialiste Didier Migaud, est l’un des deux pères de cette réforme) qui l’écrit dès 2011[6] !
À aucun moment, ces tenants du NPM[7], n’ont compris que c’est leur mauvaise gestion, c’est-à-dire cette logique du « tout budgétaire » que dénonce même « France Stratégie », qui en est la cause[8].
À aucun moment, puisqu’ils n’ont rien appris d’autre dans leur formatage idéologique que cette économie de la « concurrence libre et non faussée », « gagner toujours plus en exploitant toujours plus n’importe où ! », le nec plus ultra de la pensée bruxelloise est la cause unique de cette déréliction sanitaire, si l’on ose cet emprunt littéraire ! Neuf mois avant la pandémie, Le Figaro qui ne passe pas pour un journal antilibéral, alertait sur les graves problèmes de pénurie de médicaments du fait des délocalisations, en indiquant que « 80 % des principes actifs sont fabriqués hors d’Europe, contre 20% il y a trente ans[9] ».
Effectivement comment évaluer le mérite des chercheurs, des enseignants, des soignants… Le nombre de publications ou de brevets est un bien piètre indice quantitatif qui favorise la bibliométrie et non la recherche et la qualité. Ces derniers mois nous l’ont amplement démontré par des publications erronées et non vérifiées. Bien plus, selon une enquête de Nature auprès de 4 300 chercheurs : « Avez-vous déjà ressenti la pression de vos pairs examinateurs pour citer des études apparemment superflues dans votre travail ? ». La réponse est « oui » pour 62 % d’entre eux[10]… Le paiement à l’acte à l’hôpital institué par la loi Bachelot (2009) comme ailleurs est une impasse et les innombrables réformes de notre système éducatif à chaque ministre, ne masquent même plus les mauvais résultats de notre pays, classé 23e sur les 79 évalués par l’OCDE en 2019 par le « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » (PISA), même si l’on pourrait en dire bien des choses !
« Je ne sais ni lire, ni écrire » pourrait bien être les maîtres mots de nos modernes béotiens au pouvoir ! Ils ont découvert avec stupeur que nous n’avions plus ni producteurs de produits sanitaires, ni fabricants de médicaments, ni chercheurs pour inventer un vaccin alors que l’ARN messager est étudié depuis plus de quinze ans dans des laboratoires publics français soumis aux monstrueuses contraintes budgétaires qui privilégient l’immédiat à l’avenir comme l’expliquait récemment sur France Culture, Chantal Pichon[11]. Il est vrai que cette molécule a été découverte par deux Français, Jacques Monod et François Jacob, devenus Prix Nobel de Médecine. Nous étions en 1961, « l’âge d’or de la recherche en France[12] » où le Général de Gaulle souhaitait en la matière que « n’interviennent que ceux qui y comprennent quelque chose[13] ». On est bien loin des contrôles des boutiquiers, baptisés « évaluateurs », de la RGPP et de la MAP[14] qui lui a succédé sous le quinquennat suivant et qui précède le non moins pompeux « Programme Action publique 2022 », lancé en 2017… Avec 2,2% de PIB destiné à la Recherche, le pays de Pasteur comme on aime à le dire ces derniers temps, est bien pâlichon, comparé à ses voisins et concurrents ! « Apprenez de vos erreurs » était notre conclusion du dernier numéro de 2020 !
– Regards croisés sur l’échec et la défaillance en sept articles aussi variés que l’activité humaine.
– Indices boursiers, fraudes et résultats apportent un complément nécessaire car si l’on peut apprendre de son échec, encore faut-il accepter de se remettre en cause car « c’est en poussant tes pièces d’échecs dans le sérieux des conventions du jeu d’échecs, c’est en rougissant de colère si ton adversaire triche avec la règle, que tu prépares en toi l’illumination du vainqueur d’échecs[15] ».
1. AFSE, association française de science économique, https://www.afse.fr/fr/cycles-eco-500215.
2. Naszályi Philippe, « Homo sum et humani nihil a me alienum puto ! », La Revue des Sciences de Gestion, 2020/6 (N° 306), p. 1-3. URL : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2020-6-page-1.htm.
3. Suzanne Maury, La réforme de l’État, https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/269764-la-reforme-de-letat-politique-publique, 22 août 2018.
4. Fact check : Y-a-t-il trop de postes administratifs dans les hôpitaux ? https://theconversation.com/fact-check-y-a-t-il-trop-de-postes-administratifs-dans-les-hopitaux-137615, 6 mai 2020.
5. Alice Vitard, Pour réduire les tâches administratives, l’hôpital de Nancy mise sur la reconnaissance vocale , https://www.usine-digitale.fr/article/pour-reduire-lestaches-administratives-l-hopital-de-nancy-mise-sur-la-reconnaissance-vocale-de-nuance.N919454 , 14 janvier 2020, cité par S. Besanger.
6. Rapport public, La mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : un bilan pour de nouvelles perspectives, La Documentation française, 7 novembre 2011.
7. New Public Management.
8. « Bilan de la RGPP et de la MAP en matière de modalité d’accompagnement et de bonne appropriation pour les agents”, http://www.fo-prefectures.com/documents/2219-2-pdf-action-publique-2022-documents-presentes-lors-du-comite-de-suivi-du-5-mars-2018.html, mars 2018, page 17.
9. Keren Lentschner : « Les délocalisations à l’origine de la pénurie de médicaments en France », https://www.lefigaro.fr/conjoncture/les-delocalisations-a-l-originede-la-penurie-de-medicaments-en-france-20190811, 11 août 2019.
10. Dalmeet Singh Chawla , « Two-thirds of researchers report ‘pressure to cite’ in Nature poll », Nature, https://www.nature.com/articles/d41586-019-02922-9, 1st october 2019.
11. https://www.franceculture.fr/emissions/comme-personne/chantal-pichon-heraut-de-larn-messager, 28 mai 2021.
12. Pierre Lelong, « Le général de Gaulle et la recherche en France », in Dossier : « Le CNRS au temps de Charles de Gaulle 1958-1969 », La Revue pour l’Histoire du CNRS, 1999, https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.481.
13. Pierre Lelong, « L’action à l’égard de la recherche scientifique et technique » in Institut Charles de Gaulle, De Gaulle et le service de l’État, Plon, 1977.
14. Modernisation de l’action publique.
15. Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, 1944, p. 937.