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Les tensions sur le marché de l’emploi en France : constats et perspectives

Le marché de l’emploi en France connaît depuis plusieurs années une intensification des tensions. Loin d’être un phénomène conjoncturel lié uniquement à la sortie de crise sanitaire, ces déséquilibres s’inscrivent dans une dynamique plus profonde. Ils traduisent à la fois des difficultés structurelles de formation, des mutations sectorielles rapides et des évolutions dans les aspirations des travailleurs. L’artisanat, secteur historiquement résilient, en fournit une illustration exemplaire. Selon le dernier baromètre ISM-MAAF, malgré un niveau d’emploi encore élevé, les entreprises artisanales peinent à recruter, les offres progressant plus vite que le vivier de candidats disponibles¹. Ces constats rejoignent ceux dressés par la DARES et par l’INSEE, qui soulignent l’ampleur des tensions dans l’ensemble du tissu économique français².

Des tensions généralisées sur le marché de l’emploi mais différenciées selon les secteurs

En 2023, près de trois métiers sur quatre étaient considérés comme « en forte tension », couvrant environ 68% de l’emploi total³. Cette proportion constitue le plus haut niveau observé depuis plus d’une décennie. Les secteurs du bâtiment et des travaux publics, de l’industrie de production, ainsi que les services de proximité, concentrent la majorité des difficultés.
Dans l’artisanat, le baromètre ISM-MAAF relève une croissance spectaculaire des offres d’emploi : plus de 490 000 ont été publiées en 2024, soit une augmentation de 46% depuis 2019⁴. Dans le même temps, le nombre de demandeurs d’emploi dans ces métiers a reculé de 12%. La combinaison de ces deux tendances explique l’ampleur des déséquilibres : pour certains métiers, plus de 80% des recrutements sont jugés difficiles. C’est le cas des couvreurs, chaudronniers ou carrossiers automobiles⁵.

Ces tensions ne sont cependant pas uniformes. Alors que certains métiers connaissent une raréfaction des candidats – charcutiers-traiteurs, plâtriers, soudeurs – d’autres, au contraire, voient affluer des vocations parfois au-delà des débouchés réels. Les brasseurs, fromagers ou pâtissiers, emblèmes de reconversions post-Covid, connaissent une hausse significative du nombre de demandeurs d’emploi⁶. Le marché oscille ainsi entre pénurie et excès d’offre, révélant une inadéquation croissante entre les trajectoires individuelles et les besoins collectifs.

Les ressorts des déséquilibres sur l’emploi en France

Plusieurs facteurs expliquent la persistance de ces tensions. D’abord, un déficit structurel de main-d’œuvre. Nombre de métiers artisanaux ou industriels souffrent d’un manque d’attractivité lié à des conditions de travail exigeantes, à une reconnaissance sociale limitée et, souvent, à une rémunération jugée insuffisante⁷. Les jeunes générations manifestent des attentes accrues en matière de qualité de vie au travail, de flexibilité et de sens accordé aux activités exercées.

Ensuite, une inadaptation territoriale. Les zones géographiques où les besoins sont les plus forts ne correspondent pas toujours aux bassins de main-d’œuvre disponibles. L’Île-de-France concentre ainsi plus de 1,7 million d’emplois en tension, soit près d’un tiers de l’emploi régional⁸. Les coûts et les temps de transport freinent les mobilités, accentuant les difficulties des entreprises locales.

Enfin, des transformations économiques rapides compliquent l’ajustement. La transition énergétique crée de nouveaux besoins (isolation, construction bois, réparation de cycles), tandis que la numérisation modifie les compétences requises dans la maintenance, l’automobile ou les métiers de service. L’offre de formation initiale et continue peine à suivre, malgré des dispositifs renforcés de reconversion et d’apprentissage⁹.

Conséquences économiques et sociales

Ces tensions produisent des effets multiples. Elles rallongent les délais de recrutement et limitent parfois l’activité des entreprises, qui doivent arbitrer entre retards, surcoûts et réduction de leur offre. Elles accentuent également les inégalités territoriales, certains services de proximité étant fragilisés par le manque de personnel.

Elles contribuent aussi à modifier les équilibres salariaux. Dans plusieurs branches, la rareté de la main-d’œuvre entraîne des revalorisations ou l’octroi de primes pour attirer les candidats. Ces ajustements, s’ils améliorent l’attractivité, peuvent aussi générer des tensions inflationnistes. Enfin, la multiplication des recrutements contraints ou partiellement qualifiés accroît le risque de précarisation, en particulier pour les jeunes et les reconvertis.

Perspectives et leviers d’action

Face à ce diagnostic, plusieurs pistes apparaissent.

  • L’adaptation des parcours de formation aux besoins du marché demeure un levier essentiel : renforcement de l’alternance, développement de modules de reconversion plus souples, et meilleure articulation entre formation initiale et continue.
  • L’amélioration des conditions de travail constitue une priorité pour redonner attractivité aux métiers en tension. Elle passe par la revalorisation salariale, mais aussi par des efforts sur l’organisation, la sécurité et les perspectives de carrière.
  • La dimension territoriale doit être davantage intégrée. Les politiques publiques gagneraient à cibler les bassins les plus affectés, en développant des infrastructures de transport, des aides à la mobilité ou des formations locales.
  • Enfin, la coordination entre acteurs publics et privés apparaît décisive. La mise en commun de données fiables, la concertation entre entreprises, collectivités et organismes de formation, ainsi qu’une anticipation partagée des besoins, conditionnent l’efficacité des politiques de l’emploi.

Les tensions actuelles du marché du travail français constituent à la fois un défi et une opportunité. Défi, car elles mettent en lumière les fragilités d’un système où l’offre et la demande peinent à se rencontrer, au détriment de la compétitivité des entreprises et de la cohésion sociale. Opportunité, car elles ouvrent la voie à une revalorisation de métiers essentiels, à une réflexion approfondie sur l’organisation du travail et à une meilleure reconnaissance des compétences. Pour la recherche en sciences de gestion, ces mutations offrent un terrain privilégié d’observation et d’analyse, où se jouent les équilibres futurs du travail et de l’emploi.

Philippe Naszályi



Notes

1. Baromètre ISM-MAAF, Les chiffres 2025 de l’emploi dans l’artisanat en France, communiqué du 4 septembre 2025.

2. INSEE, « Marché du travail : tensions sur le recrutement en Île-de-France », Insee Analyses Île-de-France, n° 164, 2023.

3. DARES, « Les tensions sur le marché du travail en 2023 », Dares Résultats, n° 54, juin 2024.

4. Baromètre ISM-MAAF, op. cit.

5. Ibid.

6. Ibid.

7. France Stratégie, Métiers 2030 : quelles perspectives pour l’emploi en France ?, Rapport, 2022.

8. INSEE, op. cit.

9. France Stratégie, op. cit.

2 jours fériés en moins… pour quoi faire ?

Dans son plan budgétaire pour 2026, présenté le 15 juillet 2025, François Bayrou a annoncé la suppression de deux jours fériés, le lundi de Pâques et le 8 mai, sous prétexte de « solidarité nationale » et de contribution au redressement des finances publiques. Une idée qui ressurgit presque vingt ans après la fameuse « journée de solidarité » de 2004… et dont la vacuité économique et sociale n’a pourtant pas changé. Dans un billet publié il y a quelques jours sur larsg.fr et intitulé « François Bayrou à Matignon : le Magnificat perverti, le souvenir du Gosplan… et les sépulcres blanchis« , nous nous étions déjà permis de railler cette obsession comptable qui consiste à faire porter la charge toujours sur les mêmes. Revenons-y, plus sérieusement.

Travailler plus… mais qui ?

Les chiffres sont clairs : les salariés français travaillent déjà largement autant que leurs homologues européens. En 2023, la durée annuelle moyenne d’un salarié à temps plein était de 1 669 heures, contre 1 638 heures en Allemagne et 1 582 heures aux Pays-Bas¹. Le problème français, ce n’est donc pas la durée du travail de ceux qui travaillent… c’est le nombre de ceux qui ne travaillent pas.

Le taux d’emploi des 15-64 ans était de 67,5 % en France en 2024, contre 77 % en Allemagne et 82 % aux Pays-Bas². Plus inquiétant encore : seulement 35,2 % des jeunes (15–24 ans) sont en emploi en France, contre 48 % en Allemagne et 74 % aux Pays-Bas³. Chez les seniors (60–64 ans), même constat : la France plafonne à 36 %, tandis que l’Allemagne atteint 61 % et la Suède 69 %⁴.

L’OCDE le résumait déjà dans son rapport annuel : « La priorité pour la France est d’élargir la base active plutôt que de ponctionner ceux qui travaillent déjà. »⁵

Autrement dit, le problème est structurel. Et ce n’est pas en rognant encore un peu plus les jours de repos de ceux qui travaillent que l’on règlera la question.

Éric Coquerel (LFI) pose une question à Amelie de Montchalin (Ministre chargée des Comptes publics) concernant les 2 jours fériés en moins

Une goutte d’eau budgétaire

Sur le plan budgétaire, la suppression de deux jours fériés rapporterait, selon le gouvernement, environ 4,2 milliards d’euros⁶. Une somme non négligeable pour le commun des mortels, mais dérisoire comparée aux 330 milliards annuels consacrés aux retraites et aux 50 milliards attendus pour la dépendance d’ici 2030. Et Rexecode évalue l’impact macroéconomique à seulement 0,1-0,2 % de PIB supplémentaire par an, bien loin de ce qui serait nécessaire pour résorber durablement nos déficits⁷.

Punir plutôt qu’inclure

Ce choix illustre surtout une certaine paresse intellectuelle par des gens qui invitent les autres au courage ! Il est plus facile, politiquement, d’exiger un effort supplémentaire de ceux qui travaillent déjà que d’affronter les vraies difficultés : chômage structurel, précarité, formation continue insuffisante, exclusion des seniors. France Stratégie qui n’est pas une officine gauchiste, notait dès 2023 : « Ces solutions à court terme usent les salariés en emploi sans élargir la base contributive. »⁸

Alors que des marges existent : insertion des jeunes via l’apprentissage (que l’actuel gouvernement déstructure et rabote), maintien des seniors dans l’emploi, inclusion des publics éloignés. Mais cela demande du temps, du courage, de l’imagination et finalement de l’intelligence. Toutes ces qualités dont cette proposition Bayrou est tristement dépourvue.

Une très vieille rengaine

Le plus désolant, sans doute, est que François Bayrou en soit encore là, en juillet 2025, après avoir déjà brandi cette idée en 2023… et que la « journée de solidarité » de 2004 ait déjà prouvé son impopularité et ses effets limités⁹. Dans son discours de présentation du budget, François Bayrou déclarait : « Il faut réconcilier la France avec le travail ; supprimer deux jours fériés, c’est la démonstration concrète de solidarité nationale. »¹⁰

C’est surtout une démonstration d’immobilisme et de méconnaissance des réalités économiques. Comme le rappelait Keynes en 1931 : « Il est plus facile d’appeler à l’effort ceux qui sont déjà en mouvement que d’aider ceux qui sont immobiles. »¹¹

Et comme nous le soulignions avec humour sur larsg.fr la semaine dernière, persister dans cette voie, vingt ans après la première journée de solidarité, ne relève plus de la réforme, mais de l’acharnement thérapeutique… (n’en déplaise à Philippe Juvin !) à l’encontre des salariés.

Dans son discours radiodiffusé du 11 octobre 1940, quelques mois après avoir pris la tête de l’État français, le maréchal Pétain exhortait les Français à accepter l’ordre nouveau et déclarait : « Les Français doivent se remettre au travail, non seulement pour produire, mais pour se redresser moralement. »¹²

Cette phrase, dans la bouche du vieux maréchal, servait à imposer une discipline collective et une soumission sociale sous couvert de « redressement ». Elle resurgit étrangement aujourd’hui, tant la logique sous-jacente de la proposition Bayrou, moralisme comptable et immobilisme politique, semble lui faire écho.

Discours Pétain Un nouveau régime ordre nouveau et Révolution nationale
Discours du Maréchal Pétain (Un nouveau régime : ordre nouveau et Révolution nationale).

  1. Insee, Durée effective annuelle du travail en 2023, 2024, insee.fr.
  2. Eurostat, Employment rate (15–64), avril 2024, ec.europa.eu.
  3. Eurostat, Youth employment rate (15–24), avril 2024, ec.europa.eu.
  4. OCDE, Employment rate of older workers (60–64), 2024, oecd.org.
  5. OCDE, Perspectives de l’emploi 2025, chapitre 5, « Travailler plus ou travailler plus nombreux ? », oecd.org.
  6. Le Monde, « Suppression de deux jours fériés, année blanche, gel des dépenses… », 15/07/2025, lemonde.fr.
  7. Rexecode, Impact économique de la suppression d’un jour férié, note de décembre 2023, rexecode.fr.
  8. France Stratégie, Mobiliser le travail en France, rapport 2023, francestrategie.gouv.fr.
  9. Les Échos, « La journée de solidarité a rapporté 2,3 milliards en 2022 », 17/05/2023.
  10. Discours de présentation du budget 2026, François Bayrou, 15 juillet 2025.
  11. John M. Keynes, Essais de persuasion, 1931.
  12. Philippe Pétain, discours radiodiffusé à Vichy, 11 octobre 1940, dans Documents sur la politique intérieure de la France, 1940–1944, Paris, Imprimerie nationale, 1946, p. 23.

François Bayrou à Matignon : le Magnificat perverti, le souvenir du Gosplan… et les sépulcres blanchis

François Bayrou, catholique pratiquant, parvenu (enfin, pour lui) à Matignon, a présenté hier son grand « Plan pour la soutenabilité des finances publiques et la relance productive » (titre officiel annoncé en conférence de presse, 15 juillet 2025).

François Bayrou n’est-il plus à une contradiction près ?

Dans un élan volontariste, François Bayrou exhorte la France à « produire plus » et à « retrouver une capacité productive », tout en prévenant qu’il serait dangereux de taxer davantage les plus riches. Une contradiction qui ne semble guère troubler cet homme de foi affichée, lui qui a pourtant largement contribué à porter Emmanuel Macron au pouvoir, celui qui a bradé les fleurons industriels français avec une légèreté sans précédent (cf. Le Monde, 2022, sur les cessions d’Alstom, Technip, Lafarge, etc.).

Comment ne pas songer au drame d’Olivier Marleix, député et ancien président de la commission d’enquête sur la vente d’Alstom, qui en fit le récit dans Ce que je ne pouvais pas dire, avant de se donner la mort en juillet dernier, broyé par cette même logique qu’on continue aujourd’hui de travestir en vertu ?

François Bayrou est-il toujours au Plan ?

On dirait que son passé de Haut-commissaire au Plan colle à la peau de François Bayrou. À force de parler de « production », le voilà qui ranime des souvenirs soviétiques : produire plus, mais produire quoi  ? Pour qui  ? On repense à ces aberrations du Gosplan, où la logique du chiffre étouffait celle du bon sens : des clous si gros qu’ils en devenaient inutilisables, des millions de chaussures toutes en taille 42, des lampes fragiles qui éclataient au moindre choc… Des quotas respectés, des besoins trahis.

François Bayrou serait-il toujours de bonne foi ?

Et l’on sourit (jaune) ou l’on s’indigne en voyant l’homme de foi pervertir ainsi le Magnificat de Marie, qui proclame dans l’Évangile : « Il a comblé de biens les affamés, et renvoyé les riches les mains vides » (Luc 1, 53).

François Bayrou lui travestit le texte sans vergogne : « Il comble de biens les riches, et renvoie les affamés les mains vides. »

On aimerait lui rappeler qu’on ne gouverne pas pour satisfaire des chiffres, mais pour répondre à des vies ; et que la production, comme le sabbat, a été faite pour l’homme, et non l’homme pour la production (Marc 2, 27).

En définitive, cet homme qui cite volontiers les Évangiles ressemble à ces sépulcres blanchis dénoncés par Jésus : une façade immaculée et pieuse, mais derrière, le calcul politique, l’hypocrisie et l’injustice continuent d’enterrer les plus faibles sous une chape de chiffres et d’apparences (cf. Matthieu 23, 27).

Délais de paiement : l’État satisfait… l’Observatoire observe et un rapport de plus !

C’est un rituel bien huilé depuis bientôt vingt ans : chaque année, l’Observatoire des délais de paiement (1) remet son rapport annuel au gouvernement. Cette instance, créée à l’initiative de Thierry Breton, alors ministre de l’Économie de Jacques Chirac et incarnation assumée de la technocratie française, publie inlassablement ses constats, salués par le ministre du moment. Cette année, le rapport a été accompagné d’un communiqué de presse du ministère de l’Économie et des Finances, signé par la ministre déléguée Véronique Louwagie, chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises et de l’Économie sociale et solidaire, saluant les progrès et promettant de sanctionner les retardataires… à condition qu’ils ne soient pas publics.

L’État est-il si exemplaire ?

La lecture du rapport 2024 révèle un exercice d’équilibriste. Officiellement, l’État est « exemplaire », avec un délai moyen de 14,2 jours pour régler ses fournisseurs en métropole. « Près de 9 paiements sur 10 en moins de 30 jours », clame fièrement le communiqué. Sur le papier, la France devance même la moyenne européenne.

Mais cette autosatisfaction mérite nuance. D’abord parce que la situation se dégrade légèrement depuis deux ans (13,6 jours en 2022), traduisant une lente érosion de la discipline de paiement. Ensuite parce que la performance moyenne masque des écarts abyssaux : le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères brille avec 7 jours, mais la Justice flirte avec 40 jours, mais certains établissements publics hospitaliers atteignent 121 jours en Outre-mer. La République sans cesse invoquée est bien loin d’être égale pour tous ! Enfin, parce qu’un quart des ministères ne parviennent pas à tenir les délais réglementaires de 30 jours pour toutes leurs dépenses.

Ces écarts révèlent une administration à deux vitesses : celle qui a numérisé ses circuits, et celle qui peine encore à dématérialiser ses factures ou à mettre fin à ses « réseaux » d’ordonnateurs éclatés. Mais plutôt que de sanctionner ses propres lenteurs, l’État préfère parler de « contrôle pédagogique » et publier en open data les résultats des collectivités locales… histoire d’inviter les Français à se faire une opinion.

À l’heure où l’on traque la moindre économie budgétaire et où l’on pousse les hôpitaux et les collectivités à « rationaliser leurs dépenses », on reste frappé par la tolérance dont bénéficie la République envers elle-même. La morale de la fable : quand l’État se juge, il s’accorde facilement le satisfecit.

L’Observatoire des délais de paiement en question

L’Observatoire des délais de paiement a pour mission de mesurer, d’analyser et de commenter les pratiques de paiement en France, dans le secteur public comme privé. Il ne dispose d’aucun pouvoir contraignant, mais formule des recommandations annuelles sur la base des données collectées par ses membres. Il est composé d’environ 80 représentants de 35 institutions publiques et privées, sous la présidence de Virginie Beaumeunier, directrice générale des entreprises au ministère de l’Économie.

Ses membres incluent la Direction générale des entreprises (DGE), la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la Banque de France, ainsi que des représentants des organisations patronales, syndicats, chambres consulaires et experts.

Son budget se voudrait un modèle d’efficience bureaucratique : sans avoir de budget propre, il mobilise tout de même plusieurs dizaines d’agents publics et statisticiens de ces administrations pour un coût estimé d’au moins un million d’euros par an (2). Une somme modeste dans l’absolu… mais pas si anodine à l’heure où l’on prône la sobriété budgétaire et où le rapport annuel passe largement inaperçu du grand public.

La République dépense un million d’euros par an pour expliquer pourquoi elle ne paie pas dans les délais

En clair : la République dépense volontiers un million d’euros par an pour s’autoévaluer et publier des rapports expliquant pourquoi elle ne paie pas toujours ses factures dans les délais. Ironie de la situation : ces mêmes rapports dénoncent des pratiques de retard inacceptables chez les entreprises privées, assorties de la menace d’amendes pouvant atteindre 1 % du chiffre d’affaires mondial… tout en concluant que la sphère publique, elle, reste « dans les clous réglementaires ». La pédagogie vaut visiblement mieux que la sanction quand c’est l’État qui se juge.

Alors, à quoi ça sert ? À justifier l’existence de l’Observatoire des délais de paiement, sans doute. Et à rappeler que, dans la République, on est toujours mieux payé pour observer que pour agir. Un « machin » (de plus) comme l’aurait peut-être dit le Général !


(1) Observatoire des délais de paiement, créé par le décret n° 2006-188 du 17 février 2006, sous le gouvernement Dominique de Villepin (Journal officiel du 19 février 2006).

(2) Estimation calculée sur un coût direct de fonctionnement autour de 400 000 €, auquel s’ajoutent les traitements de plusieurs dizaines d’agents de catégorie A mobilisés à temps partiel ou complet sur les travaux de l’Observatoire (salaires moyens de 3 193 € nets mensuels), et les coûts annexes logistiques et de publication.

Première page du communiqué
communiqué 11 juillet retards de paiement

n°333 – Le travail, c’est la santé… vraiment ?

« Le travail, c’est la santé… rien faire, c’est la conserver », chantait Henri Salvador avec l’humour du paradoxe. C’était en 1965. Cette même année, naissait la revue Direction et Gestion des Entreprises, devenue depuis La Revue des Sciences de Gestion. Soixante ans plus tard, le refrain résonne encore, dans un monde où le travail est à la fois revendiqué, transformé, désacralisé… et souvent pathogène.

https://doi.org/10.3917/rsg.333.0001

Nous avons choisi de faire de ce titre de chanson le point de départ de notre numéro 333, deuxième numéro de notre soixantenaire, à la tonalité volontairement libre, critique et inspirée. Car dans « 333 », on entend aussi ce fameux « 33 » qu’on disait chez le docteur !

333 avant notre ère, c’est aussi Alexandre le Grand qui bat Darius III à Issos, ouvrant la voie à la conquête de l’Orient. Ce numéro n’a pas cette ambition, mais se veut à sa manière un point d’inflexion – qui raisonne et résonne – une invitation à regarder autrement nos certitudes, nos normes… et nos pratiques.

Fidèle à sa tradition d’ouverture à la réflexion, et quelle réflexion : voir ce que la finance ne montre pas, La Revue des Sciences de Gestion s’ouvre par une tribune libre de Jean-Jacques Pluchart, qui présente « Les invisibles de l’emprise de la finance ». Il y évoque l’un des paradoxes les plus puissants du capitalisme contemporain : sa visibilité hégémonique et son invisibilité concrète. À la manière du mythe de la caverne de Platon, l’auteur nous entraîne à la découverte de la « banque de l’ombre », des réseaux de blanchiment, des flux spéculatifs hors radar et de ces puissances anonymes qui structurent les marchés sans visage.

De là découle un court dossier : approches pluriculturelles en finance, qui aborde la finance plurielle, entre normes et cultures des sociétés foncières européennes aux microcrédits africains. Charlotte Disle et Rémi Janin (Université Grenoble-Alpes) analysent l’usage du résultat EPRA comme indicateur alternatif de performance dans le contexte des normes IFRS, révélant à la fois ses apports et ses limites pour les sociétés foncières européennes. En écho, Pascal Bougssere, Mamadou Toé et Wend-Kuûni Raïssa Yerbanga étudient les perceptions croisées du microcrédit au Burkina Faso, à travers les rapports entre institutions de financement et performance réelle des micro-entreprises. Ces contributions montrent combien la finance reste un construit culturel, façonné par les normes, les institutions… et les perceptions qui sont importantes en santé mentale.

Sans transition, soigner autrement : démocratie, numérique et management de la santé sont autant de pistes pour la gestion de la santé dans tous les continents. Xavier Moinier et Liliane Bonnal montrent comment la e-santé peut accroître le pouvoir d’agir du patient, dans une logique de démocratie sanitaire active. Une contribution de Kaouther Ben-Jemaa-Boubaya (EDC-Paris) et Boutheina Zouabi-Ouadrani (La Réunion) analyse l’impact de l’agilité organisationnelle sur le stress professionnel des cadres de santé français, en contexte post-Covid. Du côté de Bamako, l’étude sur les médicaments traditionnels informels interroge le rôle ambivalent des réseaux sociaux numériques dans la circulation des produits de santé.

Enfin, Nabil Ouarsafi et Elmaati Errachiq explorent les obstacles organisationnels au Lean healthcare dans les établissements sanitaires du Maroc, confrontant modèle importé et culture hospitalière.

Là encore, le monde entier est concerné, et pas ce petit bout étriqué qui n’a que l’Outre-Atlantique comme horizon ultime !

Ces travaux s’inscrivent aussi dans notre partenariat durable avec la Chaire de gestion des services de santé du CNAM, dirigée par le Professeur Sandra Bertezene, partenaire indispensable de La RSG pour la troisième année dans nos colloques sur la démocratie en santé.

L’idée de la santé et de son lien avec la gestion n’est plus une vue de l’esprit. Déjà dans le numéro précédent, j’amorçais la réflexion sur le fait que le manager est aujourd’hui un acteur-clé de la santé mentale au travail[1], souvent plus influent que les soignants eux-mêmes. J’y relevais le paradoxe que le gestionnaire, si décisif dans le quotidien des entreprises, est pourtant absent des débats publics. Il ne s’agissait pas de défendre une discipline, mais de rappeler que la gestion, ou le management, mérite toute sa place dès qu’il est question d’organisation humaine.

Cela résonne d’autant plus aujourd’hui, au moment où le Gouvernement confie à Teddy Riner, triple champion olympique de judo, l’un des sportifs les plus titrés et les plus populaires de France, le parrainage de la Grande Cause nationale 2025 : la santé mentale. Un choix symbolique qui honore l’effort et la performance, mais qui doit aussi s’accompagner d’une réflexion sérieuse sur les causes structurelles du mal-être, notamment dans le travail. Le management n’est pas un simple outil de gestion du quotidien : il est aussi, souvent, un déterminant de santé.

Le constat est accablant : en France, selon les données de l’Assurance Maladie, plus de six cent mille accidents du travail sont déclarés chaque année, et près de cinquante mille maladies professionnelles reconnues. Le secteur de la construction, de la logistique, mais aussi celui de la santé et de l’aide à la personne figurent parmi les plus touchés. Le travail ne préserve pas la santé : il l’altère trop souvent.

Toutefois, il convient de ne pas oublier que le travail peut aussi être facteur d’insertion, notamment pour les personnes en situation de handicap. Ainsi, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) permettent à des milliers de travailleurs handicapés d’accéder à une activité professionnelle adaptée, source de reconnaissance, de lien social et d’équilibre personnel. Mais il y a ici une condition qui l’emporte sur toute autre considération, que l’on n’oublie pas, comme le fait pourtant la dangereuse réforme gouvernementale des ESAT, initiée par la calamiteuse Sophie Cluzel que le travail doit y aussi et surtout ici, ne pas jeter aux orties, l’aspect médico-social[2].

C’est une piètre justification pour s’exonérer de l’absence d’anticipation dans la formation des personnels de santé qui manquent cruellement. Dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), notamment les ESAT, les difficultés de recrutement sont nettes : le taux de vacance atteint 2,3% aujourd’hui, et près de 4% en moyenne dans l’ensemble des structures médicosociales[3]. Malgré leur vocation inclusive, ces établissements peinent à pourvoir des postes clés. L’absentéisme, lui, a crû durant la crise sanitaire (11,5 →13% en 2020), témoignant des pressions croissantes sur les personnels. Ce défaut de dotation, que les ESAT partagent avec les services multi-clientèle, inquiète : il fragilise leur mission d’insertion professionnelle et sociale. »

C’est aussi oublier, excusez du peu, que 80 % des handicaps sont « invisibles », psychiques ou cognitifs, non détectables à l’œil nu[4]. Le mythe du travail en milieu ordinaire pour tous est un crime contre la vérité, les faits et l’intelligence.

Le sens du travail ne se résume donc pas à sa pénibilité ou à ses risques, mais se construit aussi dans la capacité à inclure et à valoriser chacun selon ses possibilités.

Et le Covid-19, loin de réduire les risques, les a déplacés. Le télétravail, devenu très souvent une forme banale d’organisation, entraîne des risques nouveaux : isolement, effacement des limites entre vie professionnelle et personnelle, troubles musculosquelettiques, et surtout fatigue psychique accrue. Travailler chez soi n’est pas toujours plus sûr. C’est aussi un mode de stress invisible.

C’est pour inclure toutes ces réflexions que se tiendra sommet francophone du management que La Revue des Sciences de Gestion à Marrakech, les 10, 11 et 12 décembre 2025, en partenariat avec les Rendez-Vous du Management, initiés par le Professeur Nabil Ouersafi à l’occasion de son soixantenaire. Ce colloque, à la fois pluridisciplinaire et ouvert à la diversité des approches et des terrains, portera sur le thème général du Travail, décliné autour de deux appels à communication[5] :

  • Travailler plus ? Travailler moins ? Ou travailler autrement ?
  • Pouvoir d’agir des usagers en Europe, en Amérique, en Afrique… : Partager les savoirs pour une plus grande démocratie en santé : Travailler autrement.

Alors oui, « Le travail, c’est la santé », mais à condition qu’on cesse d’en faire une incantation vide. À condition qu’on réinterroge les formes, les finalités, les rythmes, les rapports sociaux. À condition que le travail ne soit plus ce qu’il empêche, mais ce qu’il permet.

Comme le rappelait déjà l’Organisation Internationale du Travail en 2019, plus de 2,7 millions de personnes meurent chaque année d’un accident ou d’une maladie liée au travail, et quelque 374 millions d’accidents non mortels sont signalés.

En France, malgré les dispositifs de prévention, les chiffres restent préoccupants. C’est donc à une mobilisation scientifique, managériale et sociale que ce numéro appelle.

Dans cet esprit, nous renouvelons l’engagement de La Revue des Sciences de Gestion depuis 60 ans : analyser, critiquer, transmettre.

Et, si l’on devait encore ausculter le monde de la gestion… alors oui, comme chez le docteur, disons 33. C’est justement ce que proposait l’illustre René Laennec, professeur à la Faculté de médecine de Paris, en 1816. Inventeur du stéthoscope, il introduisit cette forme d’écoute directe des sons du corps, l’auscultation, en demandant à ses patients de prononcer le nombre « 33 », dont les vibrations thoraciques facilitaient l’examen des poumons. À l’époque, le stéthoscope n’était qu’un simple cylindre de bois, mais son innovation ouvrait la voie à une médecine plus rigoureuse, fondée sur l’observation et l’écoute plutôt que sur la seule spéculation intuitive. Tout ce qui est aussi notre finalité.

Sachons aussi que dans les pays anglophones, le médecin disait « ninety-nine ». Comme quoi, la santé-comme la gestion a toujours parlé plusieurs langues.

C’est cette richesse pluriculturelle, loin des modèles figés, que nous défendons depuis 60 ans à La RSG !


1. https://larsg.fr/la-revue-des-sciences-de-gestion/n331-332-le-manageur-lhomme-clef-de-la-sante-mentale/

2. Dispositions des décrets des 13 et 22/12/2022. Mesures annoncées par le Président de la République lors de la Conférence Nationale du Handicap du 26/04/2022. Déploiement de la Loi Plein Emploi : inscription dans la loi de finance 2025

3. Entre 2017 et 2023, le taux de vacance moyen dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS) a quasiment doublé, passant de 2,1 % à 4,5 %. Dans les ESAT, ce taux est plus faible qu’ailleurs, autour de 2,3 % en 2023, contre 6,9 % dans les MAS pour adultes handicapés, source cnsa.fr. Le secteur des services multiclientèle (SAAD, SSIAD…) affichait des vacants jusqu’à 7,7 %, sensibilisant aux difficultés de recrutement dans le medico‑social. Source Repères statistiques, n°24 Avril 2025 “Absentéisme, vacance et rotation dans les établissements et services médico-sociaux” par Myriam Lévy (Direction de la prospective et des études) CNSA.fr et Le Média social, 23 avril 2025, “Dans les ESMS, l’absentéisme est revenu à son niveau d’avant-Covid”

4. Source : chiffres clés du Handicap, Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, 14 avril 2025.

5. https://larsg.fr/sommet-francophone-du-management-double-appel-a-communication/

n°331-332 – Le manageur : l’homme-clef de la santé mentale

For better or worse, managers have a greater impact on our mental health than doctors and therapists—and even equal to that of spouses and partners, telles sont les conclusions d’une enquête de The Workforce Institute portant sur 3 400 personnes dans 10 pays en 2023[1].*

https://doi.org/10.3917/rsg.331.0001

L’usage de l’anglais, inhabituel, a bien pour objet d’interpeler. Le gestionnaire n’est jamais interrogé sur les plateaux de télévision, ni appelé comme expert alors que l’on parle à longueur d’année des entreprises dans des chroniques appelées à tort « économiques ». Il ne s’agit pas ici de conflit de matières ou de sections du Conseil national des Universités (CNU) : la 06 (gestion) contre la 05 (économie) ou la 19 (sociologie). Il s’agit simplement de donner, à défaut de redonner, à la gestion, au management si l’on préfère cette dénomination, la place qui est la sienne dès qu’on parle d’entreprise et d’organisation !

Un très récent rapport[2] de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les pratiques managériales dans plusieurs secteurs des entreprises françaises comparées à celles de l’Allemagne, de l’Irlande, de l’Italie et de la Suède confirme que loin d’être exemplaire, le management français souffre d’un archaïsme certain du fait d’une excessive verticalité hiérarchique très différente d’ailleurs. « Les travailleurs français estiment que le soutien de leur manager est moins systématique que dans les autres pays de l’UE et dans les pays de comparaison[3] ». Or, l’absence de reconnaissance et d’autonomie est l’un des élément clef pour évaluer les risques psychosociaux, mis en lumière dès 1979 par Robert Karasek. Cela affecte le bien-être et la performance d’une équipe de travail en se caractérisant par une absence de reconnaissance, une surcharge de travail, du harcèlement, de l’agressivité, la manifestation d’une autorité vexatoire, le dénigrement voire ce que l’on appelle pudiquement des relations inadaptées qui peuvent aller jusqu’au viol. La « Promotion canapé[4] » n’est pas seulement un film comique sorti en 1990, c’est d’abord et surtout l’une des plaies des nombreux abus de pouvoir qui peuvent se produire dans toutes organisations humaines en créant une ambiance génératrice d’anxiété.

Ce sont ces types de manageur « froid », indifférent à tous, bien connu comme le « petit-chef », voire manipulateur comme un « marionnettiste » ou absolu comme un « monarque ». L’idéal-type au sens wébérien du « management toxique » pourrait fort bien être représenté par le gouvernement managérial « jupitérien » qui sévit en France et se montre si nuisible à la santé de tous et celle de la Nation !

Là encore, les éléments que sont la distance hiérarchique tout comme la reconnaissance ou non des partenaires sociaux sont des éléments mis en avant depuis fort longtemps par l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (EU-Osha) pour déterminer les facteurs des risques psychosociaux dans le management[5].

Il n’est pas neutre de constater qu’un salarié sur quatre déclare être en situation de santé mentale dégradée, avec un impact direct sur son engagement, sa productivité et son bien-être au travail[6].

Il meurt au travail par accident un peu moins de 800 personnes en France (759 en 2023), à peu près autant que de morts dans la rue (735 en 2023). L’INRS rapporte que le taux de suicide en France est l’un des sept plus élevés de l’Union européenne[7] et qu’environ 10% de ceux-ci sont liés au travail.

  • C’est dire le rôle clef de l’entreprise, prise dans son sens générique : association, organisation, sociétés, administration… car en effet, « Tout se gère[8] ! »
  • C’est dire également toute l’importance de la gestion des hommes qui n’est pas reproductible par le calque d’une forme de modèle américanisé qui est enseigné un peu partout comme une sorte de Saint Graal.
  • C’est dire encore toute l’importance des pensées et des courants hétérodoxes en économie devant le fiasco de la pensée dominante « mainstream ». Il s’incarne notamment par quelques récipiendaires de ce que l’on appelle improprement le prix Nobel d’économie.
  • C’est dire toujours toute l’importance d’apprendre à connaître les méthodes managériales venues de tous les horizons, car le management interculturel prend ici toute sa place.
  • C’est dire enfin, qu’il est temps de rénover et renforcer les études et les recherches en gestion en ne les diluant pas dans le grand tout dissolvant anglo-saxon, mais en affirmant enfin leur originalité.

Notre revue, la plus ancienne en matière de publications internationales francophones de sciences de gestion est prête à y prendre sa place, avec sa même indépendance et sa même résistance aux oukases !

C’est ainsi que la faiblesse française de considérer les sciences de gestion comme un élément déterminant de la réflexion globale sur les organisations dans les politiques publiques comme dans la presse se démontre dans les faits.

Toutes les études et enquêtes aboutissent à mettre en lumière que le choix de ne pas mettre en place le système de la « participation » aux décisions des travailleurs c’est-à-dire de favoriser le « management participatif » est partout un échec. Bien entendu pas un management de laisser-faire qui induise angoisse, mais une solution d’écoute participative débouchant sur une décision concertée et connue ensuite de tous. Le management n’est pas le problème mais la solution[9] !

Voilà pourquoi notre revue pour ses 60 ans a tenu à consacrer le colloque qui se tiendra en décembre 2025 autour de cette double idée du travail, dans le cadre des Rendez-vous du Management de Marrakech, initiés par Nabil Ouarsafi et de la santé avec notre partenaire habituelle qu’est la chaire de gestion des services de santé du Cnam de Paris que dirige Sandra Bertezene[10].

Voilà pourquoi aussi ce numéro double qui ouvre cette année du soixantenaire, essaie d’embrasser plusieurs thématiques de cette approche du management que le rapport de l’IGAS incite à diversifier.

S’ouvrant sur une tribune sur le Management associatif, se déroulent ensuite quatre thématiques :

  • La Durabilité, ou le développement responsable. C’est une réponse possible pour le commerce comme pour les Techniques d’Information.
  • Discours et action ou comme le diraient les latinistes verba et acta.
  • Quels dirigeants ? est une des questions « cœur » du sujet.

Quatre articles apportent un élément de connaissance propre.

  • Le rôle du temps, enfin, nous est apparu un élément bien trop oublié dans l’immédiateté de nos sociétés. Il n’est certainement pas soluble dans cette horrible sentence citée ad nauseum : « time is money » car nombre de cultures n’ont pas cette vision réductrice !

Si le temps ne pardonne pas ce qui se fait sans lui, gageons que ce numéro permettra de participer à cet apport que souhaite la mission de l’IGAS pour les cadres dirigeants ou non d’« un véritable conseil sur le contenu de leur pratique professionnelle de management, mettant les cadres et notamment les managers au centre des processus de transformation des organisations11 » !

Voilà également sans aucun doute, un moyen de répondre à ce souhait gouvernemental de placer la santé mentale comme « Grande Cause Nationale en 2025 » ! Ne serait-il pas utile que la lecture de notre revue soit désormais considérée comme un traitement efficace pour lutter contre les mauvais manageurs et qui sait, soit remboursée par la Sécurité sociale ?


* Évidemment il faut prendre l’emploi du genre masculin dans sa forme neutre comme le rappelle l’Académie française et donc englobant les femmes et les hommes.

1. Pour le meilleur ou pour le pire, les manageurs ont plus d’effets sur notre santé mentale que les médecins et les thérapeutes-et même à un niveau équivalent avec celui de leur conjoint(e) ou partenaire de vie ! https://www.ukg.com/sites/default/files/2023-01/CV2040-Part2-UKG%20Global%20Survey%202023-Manager%20Impact%20on%20Mental%20Health-Final.pdf

2. Fabienne Bartoli, Thierry Dieuleveux, Mikael Hautchamp et Frédéric Laloue (Igas) (2024), Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France : les enseignements d’une comparaison internationale (Allemagne, Irlande, Italie, Suède) et de la recherche, juin 2024, https://igas.gouv.fr/sites/igas/files/2025-03/Rapport%20Igas%20-Pratiques%20manag%C3%A9riales%20%282025%29%20%28tome%20I%29.pdf

3. Ibid page 42

4. Film réalisé par Didier Kaminka, 1990.

5. EU-OSHA, Management of psychosocial risks in European workplaces–evidence from the second European. Survey of enterprises on new and emerging risks (ESENER-2), 2018.

6. Source : Le baromètre Santé mentale & QVCT 2025 par Qualisocial, en partenariat avec IPSOS. https://www.qualisocial.com/barometre-sante-mentale-qvct-qualisocial-ipsos/

7. https://www.inrs.fr/risques/suicide-travail/ce-qu-il-faut-retenir.html.

8. Philippe Naszályi, (1996) Éditorial, Direction et gestion des entreprises n° 159-160, mai-août 1996. https://larsg.fr/la-revue-des-sciences-de-gestion/n297-298-larsg-fr/

9. Matthieu Detchessahars, (2011), Santé au travail, Quand le management n’est pas le problème, mais la solution…, RFG, DOI:10.3166/RFG.214.89-105. https://shs.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2011-5-page-89?lang=fr

10. https://larsg.fr/sommet-francophone-du-management-double-appel-a-communication/

11. Ibid, page 89.

n°330 – Indépendant(e)

Poursuivons notre pérégrination des mots usités et détournés.
Après « assumer »[1] et « mobilise(e)s »[2], il nous a semblé que le nec plus ultra est constitué non par une forme verbale mais par cet adjectif, parfois substantivé : « indépendant » qui bien-entendu, parité oblige, s’accorde au féminin. Laissons pour le moment sa déclinaison au pluriel, souvent accolée à « experts » !

Mais de quoi parle-t-on ? Nous avons eu en France, après-guerre, comme disent les gens de ma génération, une formation politique dite indépendante, le Centre national des indépendants et appuyé sur les paysans (CNIP), à partir de 1951. Il ressuscitait les « modérés » des années 1930. Ce parti, peu ou pas trop gaulliste mais vraiment conservateur, eut comme figure de proue, Antoine Pinay, le « sage » de Saint-Chamond. Il a compté aussi les Présidents Coty et Reynaud incarnant chacun en leurs grades et qualités, une république en faillite.

https://doi.org/10.3917/rsg.330.0001

Accolé à républicain, indépendant devient un sorte d’avatar comme une nouvelle réincarnation de Vishnou, pour servir les ambitions du jeune Valéry Giscard d’Estaing, indépendant peut-être, mais pas suffisamment des puissances d’argent.

Avec la complicité de Pompidou en 1969, puis de Chirac en 1974, il fit capoter les réformes du Général de Gaulle et tout particulièrement, la grande idée novatrice de la « participation » présentée dans ses grandes lignes dès 1948[3] ! Quant au vocable de républicain accolé à indépendant, tout le sens en est donné par cette belle réplique prononcée par Jean Gabin : « dites-vous bien que quand un mauvais coup se mijote, il y a toujours une république à sauver[4] ». Son nouvel avatar, mais sans doute pas le dernier et en tout cas celui-ci plus dans le sens d’événement fâcheux, occupe provisoirement depuis le 13 décembre, l’Hôtel de Matignon.

Indépendant en sciences de gestion

Si la politique ne grandit pas le mot, il n’en est pas moins un concept intéressant en matière de sciences de gestion. Il existe dans les principes de « bonne gouvernance », la nécessité de compter parmi les administrateurs des sociétés, – je dis bien sociétés et pas entreprises –, des administrateurs indépendants, avec une extension possible dans le domaine des PME/PMI ou de l’Économie sociale ! Indépendance et « externalité » souvent dans l’absence de lien salarial, est généralement reconnu comme élément fondamental.

Fabrice Roth[5] qui a été rédacteur en chef de notre revue, apporte dans une remarquable étude, une nuance importante sur la véritable indépendance qui ne semble pas avoir été suffisamment prise en considération !

En effet, il semble que cette liberté de jugement qu’on requiert d’un administrateur indépendant, ne peut se contenter des risques de conflits d’intérêts, au sens des principes définis notamment par l’Institut Français des Administrateurs (IFA)[6]. Toutefois, si des liens financiers ou familiaux sont souvent évoqués pour éviter la dépendance, il convient aussi de ne pas tomber dans un irénisme béat ou béta qui ferait accroire que l’indépendance est réputée acquise lorsque l’on se proclame comme tel.

Je reste très dubitatif lorsque j’entends parler de cabinet indépendant ou d’experts indépendants dans toutes sortes d’affaires y compris sociales, morales ou éthiques. Comme Jérémie Berrebi, dont je recommande vivement la lecture, je m’interroge sérieusement sur cette question : « l’indépendance d’esprit existe-t-elle vraiment[7]. »

Indépendance et administration ?

Parle-t-on d’oxymore ? Ce terme a été rendu populaire par un « président normal » mais qui n’a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à la Cour des comptes que le 11 mai 2017[8] ! Notre république, pense avoir trouvé la solution de l’indépendance. Elle ne compte pas moins de vingt-quatre autorités administratives indépendantes (AAI) et autorités publiques indépendantes (API), Jusqu’en 2017, il y en avait une quarantaine[9]. Ces sinécures, on aurait parlé de « fromages » sous la IIIe République, sont à peu près toutes constituées de manière semblable. Nous ne nous attarderons pas sur l’ineffable ARCOM dont l’une des grandes missions va être de nous changer la numérotation des chaînes de télévision qu’elle autorise et sanctionne sans distinguer des fonctions que la séparation des pouvoirs imposerait en démocratie. La commission de déontologie de la fonction publique, doit d’avantage retenir notre attention par son insuffisance. Nombre de ses décisions frisent la complicité dans le « pantouflage ».

En effet, sur trois-mille trois cents avis annuels, guère plus de quarante incompatibilités ont été retenues[10] ! Est-ce pour rendre le contrôle plus indépendant que cette commission a été fondue dans la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Arrêtons-nous alors sur cette autorité administrative indépendante dont, avec les changements fréquents de gouvernement en 2024, on ne cesse d’entendre parler. Le collège qui la compose, est constitué de douze membres :

  • 2 élus par la Cour de Cassation, normalement des magistrats du siège, bien qu’en France, on passe du siège au Parquet et inversement. Admettons-les toutefois plus indépendants que ceux qui vont suivre !
  • 2 élus par le Conseil d’État
  • 2 élus par la Cour des Comptes

On sait que ces deux institutions sont composées de brillants

énarques de la « botte » qui outre la camaraderie d’école, ont l’habitude des navettes entre les cabinets ministériels, les entreprises publiques et parfois privées et leur chambre de rattachement : un gage indéniable d’indépendance !

  • 2 nommés par le Président du Sénat
    et
  • 2 nommés par le Président de l’Assemblée nationale
  • 2 nommés par le Gouvernement

Le Président qui a voix prépondérante est lui, nommé par le président de la République.

Pour simplifier la compréhension de tous, sur ce que l’on appelle indépendance, constatons que lorsque Didier Migaud, ancien député, ancien Premier Président de la Cour des comptes jusqu’en 2020, et alors président de cette haute autorité (HATVP), a été nommé, en septembre 2024, ministre de la Justice par le président de la République, ce sont ses collègues de cette Haute Autorité qui ont statué en toute indépendance !

Cela ne veut pas dire qu’il y a malhonnêteté, mais cela veut dire à coup sûr qu’il n’y a pas indépendance au sens réel et non administratif du terme ! Marie Huret a ramassé tout cela sous l’excellente appellation de « France des connivences[11] » en parlant d’une caste qui n’est pas celle de la France « d’en haut » ni celle « d’en bas », mais de plus en plus la France « d’à côté » !

On le voit bien, indépendant(e) ne s’honore toujours pas de fréquenter la politique et pas plus que des institutions mises en place par la caste aux affaires ou affairiste qui rappelle les belles heures de la monarchie de juillet ! Et pourtant, indépendante est l’un des vocables, et même le premier que nous avons choisi pour définir la « politique éditoriale » de notre revue qui s’apprête en cette fin 2024 à entrer de plain-pied dans sa soixantième année !

Indépendante

LaRSG n’appartient à aucun groupe financier, à aucun groupe d’entreprises, à aucune académie, à aucune association ou fondation… Elle n’est liée à aucune école, à aucune université ou centre de formation… Elle appartient à un groupe de porteurs de parts sociales stables dans le cadre d’une SARL indépendante au capital de 25 000 €. Elle répond à toutes les obligations en matière de transparence. Rare parmi ses consœurs, elle est donc une véritable entreprise, fonctionnant non de subventions, d’adossements divers et variés, mais bien de son lectorat et de ses abonnements.

Même si pour ce dernier point, la chose devient plus difficile ! Nous avons donc aussi privilégié la forme numérique avec larsg.fr et la présence sur de nombreuses plateformes dont Ebsco et Cairn.

Point de connivences donc, reste notre credo et ceux qui apportent leurs concours aux évaluations, à la rédaction, au comité d’orientation (page 2 et 3 de couverture) viennent des horizons les plus variés, de pays et continents différents et concourent ainsi bénévolement à la diffusion de la pensée managériale depuis 1965. Comment mieux illustrer cela qu’en soulignant notre vocation internationale et francophone qu’un tiers des auteurs publiés, ne sont pas français[12] !

Ce dernier numéro de cette 59e année comprend une tribune d’Olivier Meier qui pose un problème actuel celui de la notion de validité externe en recherche qualitative.

Le dossier de ce numéro porte sur la résilience dans tous ses états. Il a été mené entièrement par notre rédacteur enchef, Éric Séverin. Après les crises traumatiques qui nous ont accablés, et nous accablent toujours cinq articles ont été sélectionnés avec une extrême rigueur demandant des écritures et réécritures jusqu’au dernier moment pour coller à l’actualité. Il démontre à l’envi que la science de gestion embrasse tous lesdomaines y compris ce concept que Boris Cyrulnik a largement popularisé car comme il l’écrit « la résilience est la capacité à naviguer dans les torrents de la vie. »


1. https://larsg.fr/la-revue-des-sciences-de-gestion/n323-assumer/
2. https://larsg.fr/la-revue-des-sciences-de-gestion/n324-mobilisees/
3. 14 décembre 1948, au Vélodrome d’hiver, le Général de Gaulle s’adresse aux délégués des groupes d’entreprises du R.P.F.
4. Dialogue de Michel Audiard dans le film Le Président (1961) d’Henri Verneuil.
5. Fabrice Roth (2011), L’administrateur indépendant dans le cycle de développement de l’entreprise. Revue française de gouvernance d’entreprise, 2011, 8, 15 p. ffhalshs-00693118
6. https://www.ifa-asso.com/rejoindre-lifa/qui-sommes-nous/
7. https://www.linkedin.com/pulse/lind%C3%A9pendance-desprit-existe-t-elle-vraiment-jeremie-berrebi/
8. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034681078
9. Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes
10. Fabien Matras et Olivier Marleix, Rapport d’information n° 611, déposé en application de l’article 145 du règlement, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts, n° 611, déposé le mercredi 31 janvier 2018.
11. https://www.marianne.net/societe/la-france-des-connivences
12. https://larsg.fr/liste-des-auteurs/

n°328-329 – Informer : former ou déformer ?

« L’âme informe le corps ». En langage plus savant et philosophique, elle « entéléchie » le corps, c’est-à-dire qu’elle le façonne dans un état parfait (au sens littéral du mot : perfectum équivaut à achèvement) ! Il n’est pas certain que les États généraux de l’information (EGI) que le président de la République française a lancé à l’automne 2030, ait jamais poussé leur réflexion à ce point. Elle a abouti à une présentation de ses réflexions le 12 septembre dernier.

https://doi.org/10.3917/rsg.328.0001

« L’âme informe le corps ». En langage plus savant et philosophique, elle « entéléchie » le corps, c’est-à-dire qu’elle le façonne dans un état parfait (au sens littéral du mot : perfectum équivaut à achèvement) ! Il n’est pas certain que les États généraux de l’information (EGI) que le président de la République française a lancé à l’automne 2030, ait jamais poussé leur réflexion à ce point. Elle a abouti à une présentation de ses réflexions le 12 septembre dernier.

Et pourtant poser les questions fondamentales, d’ordre philosophique, évitent d’en rester à l’écume de la pensée ou aux recettes du prêt-à-penser à la mode ! C’est effectivement plus compliqué ! La volonté d’aboutir vite, entre soi, sans faire appel aux débats de fond, en restant sur des poncifs, condamne à une exposition de déclarations dont la vacuité se rapproche plus des lapalissades. On est bien loin de cette ἐντελέχεια, « cette force par laquelle un objet passe d’un premier état à un second » qui constitue la définition aristotélicienne que propose Littré.

Donner l’information ou non est bien alors l’affaire de choix de celui qui transmet, le « medium » ou le journaliste/auteur.

Nous avions proposé en 2007 une adaptation au modèle bien connu de Shannon et Weaver de 1948 plus en rapport avec la réalité de l’information que nous voulons considérer ici.

À partir de cela, les classifications sur ce qui est sujet d’information relève du plus grand arbitraire et ne repose que sur des intérêts qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général, c’est-à-dire de celui de tous nos concitoyens. L’information doit-elle se limiter comme on a tendance à considérer, depuis quelque temps en France, à une immédiateté dont on peut mal justifier la durée : secondes, minutes, heures, journées, semaines, mois… ? De quoi parle-t-on ? Très régulièrement des étudiants, des cadres, des personnes du public consultent et parfois même (ce qui est mieux !) grâce à Larsg.fr, achètent des articles de notre revue, parus, il y a plusieurs mois ou plusieurs années ! Et pourtant il semble que pour certains, ces articles ne sont pas considérés « d’actualité » ! Mais qui sont ces gens qui statufient ces questions, les sclérosent et s’arrogent des pouvoirs qui les rendent caduques du fait des réalités ? Qu’on nous pardonne cette familiarité, mais l’information peut-elle se contenter d’être limitée à une rubrique des « chiens écrasés », à des questions de faits divers ou à reproduire la « binette » de quelques politiciens en recherche de reconnaissance ? Comment dans un des pays où la presse a été si vivante, peut-on considérer que seule « l’actualité politique et générale locale, nationale ou internationale[1] » devrait être considérée comme une presse de 1re classe et labellisée comme telle « IPG », avec les avantages et les fonds publics qui les accompagnent.

Dans un pays où l’on prétend que l’éducation doit être la priorité de la République, « Sans l’éducation, la transmission des valeurs de la République ne peut être assurée » proclame en en-tête, le site du Ministère de l’Éducation nationale[2], c’est un total contresens que de pas placer à égalité la presse qui diffuse « la pensée : instruction, éducation, information, récréation du public[3] ». Nous le disions dans le titre : Information c’est dans sa version première : formation, c’est-à-dire, toujours selon Littré, « organiser, instituer », mais dans son acception plus moderne, ici, et plus figurée aussi : « Fait de développer les qualités, les facultés d’une personne, sur le plan physique, moral, intellectuel ou de lui faire acquérir un savoir dans un domaine particulier[4] ». Comment avec une telle finalité considérer que la presse de la culture, de la connaissance puisse passer au second rang ?

Le public ignore cette distinction et nul ne peut prédire que cette injustice de traitement puisse se justifier dans une démocratie digne de ce nom. Cette question n’a pas semblé traitée par les États généraux de l’information ! Cela détermine les limites conceptuelles que nous soulignions à ces « États généraux », si particuliers et si limités !

Il y a bien sûr, bien d’autres questions qui découlent des évolutions technologiques. L’apparition ou plutôt l’invasion des réseaux sociaux rendent aussi très prégnantes des questions d’éthique, de véracité, de vérification des sources… Il en découle des interrogations quant à la circulation des fake news, en français « fausses nouvelles ». La grande loi de liberté de la presse du 29 juillet 1881, les définissait déjà comme une infraction pénale en son article 27. L’emploi des mots « anglais » n’en change pas la définition et n’est qu’une affaire technique !

Plus complexes sans doute sont notamment les questions de :

  • l’utilisation par les géants du numérique des articles de la presse et des droits de propriété
  • la préservation des sources en période où des patriot act et autres lois d’urgence placées dans la législation ordinaire, au nom de la lutte contre le terrorisme, menacent les libertés,
  • la déontologie des « auteurs » qu’on ne peut limiter à des porteurs de carte de journaliste, sans limiter la portée de toute action de formation…

Or, autant la presse écrite dispose d’organisations professionnelles, autant l’information télévisuelle et encore moins les opérateurs des réseaux sociaux demeurent, malgré des tentatives modestes, éloignée de toute organisation qui pourrait assurer un semblant de déontologie. C’est sans doute à commencer par le « service public de l’audiovisuel » si prompt à proclamer sa différence et qui s’endort dans des copinages de bon aloi et des indulgences coupables. Tout cela n’a rien à envier à la Magistrature ou à l’Université dont on ne sait laquelle de ces trois institutions mérite la médaille d’or du corporatisme le plus affligeant.

Enfin, depuis le XIXe siècle, et jamais vraiment infirmé, la soumission aux impératifs de l’économie constitue bien souvent une censure invisible qui va jusqu’à travestir la réalité. Tout cela menace les sphères de la production de culture qu’est la fameuse recherche du « scoop » ou pire, ce que nous avons appelé la Déformation. Le monde des affaires depuis toujours, a pris plaisir à s’offrir un journal ou un canal. Jadis lorsque la préoccupation était le salut, les fortunes achetaient celui-ci par les fondations pieuses, dont il nous reste de très beaux monuments. Désormais, l’acquisition illimitée de biens matériels rend indispensable la possession de la « presse ». On peut ainsi à bon compte y faire passer ses convictions et façonner les opinions publiques.

Très régulièrement de « bonnes âmes » s’inquiètent de cette situation avec d’autant plus d’intérêt que le financier n’a pas les mêmes options philosophiques, économiques ou politiques qu’elles-mêmes. C’est le bal des grands discours plus moralisateurs qu’intelligents, des appels à la sauvegarde de la liberté, de la démocratie et de la république ! Le magnifique dialogue d’Audiard, dans le film Le Président, « lorsqu’un mauvais coup se mijote, il y a toujours une république à sauver ! », apporte une réponse permanente à ces censeurs au petit pied !

Il appartient bien sûr dans le domaine de la presse que les pouvoirs publics organisent les conditions du pluralisme le plus large. Il ne leur revient pas en revanche de créer cette kyrielle d’autorités administratives, en particulier dans le domaine télévisuel, qui mélangent des pouvoirs d’autorisation et de jugement tout à fait contraire à l’esprit même de l’indépendance de toute autorité judiciaire. Confier l’audiovisuel à l’ARCOM[5], qui est loin, contrairement à sa prétention, d’être une « autorité publique indépendante » du fait notamment de son mode de nomination, est un non-sens démocratique. Après avoir succédé à la CNCL[6] qui a remplacé le CSA[7], ce comité Théodule comme l’aurait qualifié le général de Gaulle, ne représente en rien le garant de « la liberté de communication audiovisuelle » par son mélange des genres. La grande loi de la IIIe République, celle de 1881, socle de la Liberté de la Presse, donnait aux seuls tribunaux de l’ordre judiciaire et en particulier aux Cours d’Assises, dotées de jurys de citoyens, les pouvoirs de sanction dans le domaine de la liberté d’expression. Toute autre organisation lui contrevient.

Dans un article de notre revue, paru en 2013, et qui garde toute son actualité, deux jeunes auteurs, Aubry Springuel et Romain Zerbid, analysaient l’influence des médias dans le domaine de la finance. Ils commençaient ainsi leur propos : « les médias participent au processus de légitimation des entreprises au point de servir quelquefois d’indicateur en matière de légitimité[8] ».

C’est dire combien le fait que notre revue ait toujours décidé de s’inscrire dans cette logique de la presse pour Informer par le biais de la formation prend tout son sens.

Dans ce numéro qui succède à celui consacré à la démocratie en santé, car comme le rappelle la Cour européenne : « la presse joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement d’une démocratie » nous poursuivons, à l’aube de nos 60 ans, notre engagement propédeutique.

Quatre dossiers mènent cette réflexion :

  • Réflexions épistémologiques en sciences de gestion. Une tribune libre ouvre notre interrogation sur la constitution des connaissances valables, comme le prônait Piaget. Il y a là le rappel de cette nécessité qu’il convient de mettre en avant régulièrement dans ce domaine toujours actuel de la science de gestion.
  • Responsabilité sociale des entreprises qui déborde sur la responsabilité sociétale des organisations au sens le plus large, introduit l’éthique des affaires dans le monde économique.
  • Ressources humaines : Cette appellation induit une analyse de pratiques où les relations interpersonnelles ne limitent pas l’approche à un simple constat que l’entreprise, dispose du personnel nécessaire à son fonctionnement.
  • Réflexions sur la gestion financière : Si Jean Bodin énonçait qu’il « n’est de richesse que d’hommes », il n’en considérait pas moins dans les six livres de La République de 1576, que la monnaie constituait un élément fondamental dans l’esprit d’une théorie globale de l’organisation de la société à l’instar d’Aristote. La gestion financière s’inscrit donc dans ici en toute logique.

Inaugurant avec André Malraux, la Maison de la Culture de Bourges, le 15 mai 1965, Charles de Gaulle déclarait : « L’esprit, c’est-à-dire la pensée, le sentiment, la recherche et les contacts entre les hommes. C’est pourquoi, encore une fois, la culture domine tout. Elle est la condition sine qua non de notre civilisation d’aujourd’hui, comme elle le fut des civilisations qui ont précédé celle-là[9]. »


1. Article 2 du décret du 29 octobre 2009.

2. https://www.education.gouv.fr/les-valeurs-de-la-republique-l-ecole-1109.

3. Article 72 du Code général des impôts, annexe III.

4. https://www.cnrtl.fr/definition/FORMATION.

5. Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ou Arcom depuis 2022.

6. Commission nationale de la communication et des libertés, organisme français de régulation de l’audiovisuel de 1986 à 1989.

7. Conseil supérieur de l’audiovisuel institué en 1986, loi du 30 septembre 1986.

8. SPRINGUEL, Aubry., ZERBIB, Romain. La légitimité par les médias de référence sur les marchés financiers : le cas du Wall Street Journal dans les introductions en Bourse aux États-Unis. La Revue des Sciences de Gestion, 2013/5 N° 263-264, p.135-143. DOI : 10.3917/rsg.263.0135. URL : https://shs.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2013-5-page-135?lang=fr.

9. https://www.elysee.fr/charles-de-gaulle/1965/05/15/discours-prononce-par-le-general-de-gaulle-president-de-la-republique-a-loccasion-de-linauguration-de-la-maison-de-la-culture-de-bourges-cher-15-mai-1965

Les Olympiades de la Jeunesse 2024

La Société des membres de la Légion d’honneur (SMLH) est une association reconnue d’utilité publique. Ses buts sont notamment de faire rayonner la France, ses valeurs et sa culture et de mettre en œuvre des actions éducatives vers la jeunesse. C’est à ce dernier titre que les Olympiades de la Jeunesse 2024 sont organisées.

Olympiades de la Jeunesse 2021 – Best Of

Les Olympiades de la jeunesse 2021

À l’occasion de son centenaire, la Société des membres de la Légion d’honneur lançait la première édition des « Olympiades de la Jeunesse ».

Extrait de La Cohorte, n°244, décembre 2021, page 11. https://www.smlh.fr/revue/numeros/la-cohorte-decembre-2021/10

Cette grande compétition, en ligne et en présentiel, réunissait lors de son dénouement à Paris – dans la cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides – près de 1 000 jeunes de toute la France et de l’étranger autour de 80 ateliers ludiques sur les thématiques de la solidarité, de l’engagement, de la transmission des valeurs et des savoir-faire français.

Cette compétition est une déclinaison du concept original des Emploi-Games – imaginés par Alexandre Drouot – pour la société Initialis et développés depuis 2012.

Il s’agit d’une compétition, qui débute sur une plateforme numérique dédiée, où les équipes s’affrontent à distance sur l’intégralité des activités proposées (stands virtuels) et prennent connaissance du contenu des partenaires. La compétition s’achève en présence, dans le cadre d’un événement d’ampleur nationale, pour confronter les compétiteurs autour d’ateliers et de défis pour  faire vivre les valeurs d’engagement et de collectif.

Une approche inédite des forums de recrutement qui n’aura pas échappée à l’Amiral (2s) Alain Coldefy, président de la Société des membres de la Légion d’honneur, qui précise : « Cela fait partie de nos missions de la Société des Membres de la Légion d’Honneur. Il y a les valeurs à préserver, le prestige à préserver […] On essaye de tisser un lien social entre les différentes générations »*.

Les Olympiades de la Jeunesse pour 2024

Après le succès de la première édition, la Société des membres de la Légion d’honneur renouvelle ses Olympiades de la Jeunesse, le 26 mai 2024 de 9h à 17h45, au stade Charlety à Paris XIIIe.

Sous le Haut Patronage d’Emmanuel Macron, Président de la République française, et présidées par l’Amiral (2s) Alain Coldefy, les Olympiades de la jeunesse réuniront cette fois 2 500 lycéens français et 400 de leurs enseignants de tous les territoires, de l’Hexagone et de l’Outre-mer mais aussi de l’étranger (Japon, Norvège, Thaïlande, Pologne, notamment) autour de 120 partenaires, acteurs de la France d’aujourd’hui et de demain sur les terrains de la solidarité, de l’excellence, de la culture et de l’histoire de notre pays.

On retrouve ainsi parmi les partenaires, des fédérations sportives (dont handisport), des institutions (Assemblée nationale, Sénat, armées, pompiers, police, etc.), des fondations et associations diverses ainsi que les métiers (MOF, BTP, cuisine, etc.) qui témoignent de l’excellence et de la générosité de la France, ce pays de génies sous toutes ses formes.

La phase de compétition en ligne

La compétition – du 31 janvier jusqu’au 15 mai 2024 – a été ouverte aux équipes constituées par les établissements scolaires ou de formation de niveau lycée et rassemblent chacune 8 jeunes (7 ou 9 tolérés) ainsi qu’à des structures constituées (cadets de la défense, jeunes pompiers, EPIDE, etc.).

Les équipes ont pu engranger des points au fil des QCM et sont classées en continu. Le classement est consultable en temps réel sur un site dédié. Le classement final détermine le choix des 6 à 8 stands physiques que l’équipe rencontrera le 26 mai à Paris, chaque stand de partenaire ayant préparé un petit défi collectif de 30 minutes, abordable par tous.

Le rendez-vous du 26 mai au Stade Charléty

La compétition se poursuit, en physique cette fois, le 26 mai au stade Charléty. Les Olympiades impliquent la participation de 200 à 300 équipes départementales, chacune engageant les jeunes autour des 120 ateliers thématiques visant à développer leurs connaissances et leur cohésion. Ces ateliers reflètent les valeurs promues par la SMLH et l’olympisme, telles que l’excellence, l’amitié et le respect.

La 2e édition des Olympiades de la Jeunesse promet d’être un événement mémorable, offrant aux jeunes une occasion unique de se rassembler, de concourir et de célébrer l’excellence et la solidarité dans un esprit d’amitié et de respect.

Le programme comprend des temps forts : 

  • la remise de la médaille des athlètes pour la Paix à Charles Coste, doyen des médaillés olympiques et champion olympiques aux Jeux Olympiques de Londres en 1948 ;
  • une conférence sous forme de table ronde avec plusieurs médaillés olympiques et paralympiques ;
  • la remise solennelle de l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur à Ryadh Sallem, champion handisport ;
  • un concert de musique classique produit par un orchestre symphonique de 30 musiciens sous la direction de la cheffe d’orchestre Aytèn Inan ;
  • une table ronde de blessés de guerre, avec des temps d’échanges prévus avec près de 800 jeunes ;
  • des prestations de parachutistes (arrivée de la coupe par les airs) ;
  • des prix (voyages, invitation à des événements, embarquement sur des bâtiments de combat, etc.) sont remis aux meilleures équipes en fin de journée par les autorités invitées.

La Société des membres de la Légion d’honneur

La Société des membres de la Légion d’honneur est une organisation française qui vise à promouvoir les valeurs de la Légion d’honneur et à encourager l’esprit de solidarité et d’entraide au sein de la société. Depuis sa création, elle s’engage à soutenir les actions en faveur de la jeunesse et de l’excellence, incarnant ainsi les principes fondamentaux de la République française.

Elle rassemble près de 40 000 adhérents, dont 2000 à l’étranger.

Pour en savoir plus https://www.smlh.fr/nos-actualites/olympiades-de-la-jeunesse-2024-1006165

n°325-326 – Comprendre et agir dans une société en mutation

Eric Séverin

Ces dernières années ont témoigné de mutations profondes dans nos sociétés : changement climatique, nouvelles formes d’organisation du travail, de pratiques de distribution et de consommation, digitalisation massive et importance stratégique des données, intrusion des nouveaux outils de communication, prise en compte de la diversité au sein des organisations et de la société, santé au travail, inégalités croissantes au sein des sociétés, interrogation sur la légitimité des formes de pouvoir, demande d’une plus grande transparence… pour ne citer que les mutations les plus visibles.


Pour les organisations, il est urgent de repenser leurs façons d’agir. La crise sanitaire amplifie le phénomène en affectant nos conditions de vie, nos pratiques de consommation et nos modes de fonctionnement dans les organisations comme dans nos domiciles, devenus lieux de travail, d’enseignement et de réunion. Nous risquons de n’être qu’au début d’un processus dont nous ne connaissons pas toutes les conséquences.

Ces modifications touchent l’ensemble des disciplines de la gestion : l’entrepreneuriat, le marketing, la finance, la stratégie, la RH…

Quelle que soit l’approche théorique (déterministe versus volontariste) ou méthodologique (qualitative et / ou quantitative) mobilisée, ou encore le niveau d’analyse étudié (exogène, endogène), les chercheurs sont toujours confrontés à la réalité complexe et protéiforme du changement.

C’est dans ce cadre que s’inscrit ce dossier spécial de La Revue des Sciences de Gestion.

Les deux premières contributions sont dans le champ disciplinaire du marketing. Justine Estarague focalise son propos autour de l’humour. S’il est difficile à appréhender, il est connu que son utilisation pertinente est un moyen d’apaiser les comportements et les situations difficiles. Face à un environnement turbulent et incertain, Justine Estarague, dans son article intitulé : « De l’humour à l’appel publicitaire humoristique », réalise une analyse détaillée de l’humour, tant dans la recherche que dans la communication, avant de mettre en lumière les différents moyens de le mobiliser. Toujours dans lechamp du marketing et de la communication, Oliviane Brodin et Jean-François Toti, dans le travail intitulé « Les détournements publicitaires militants : quels sont les effets de l’indignation morale sur la cause défendue, l’ONG impliquée et la marque objet du détournement », s’attachent aux détournements de publicités à objectif militant, en particulier via les réseaux sociaux où ils peuvent circuler largement. Les auteurs étudient les effets de ces détournements sur la cause défendue et mettent en évidence le rôle de l’indignation morale dans ces effets sur les attitudes et l’engagement, en prenant en compte la radicalité de l’association et le ton du message.

S’il est un domaine où la mutation et les changements sont prégnants, c’est bien dans le domaine de l’entrepreneuriat.

Amina Rouatbi, dans son article : « Entrepreneuriat féminin et performance. Impact de la crise de la Covid-19 sur la perception de la performance auprès des femmes entrepreneures » s’attache à l’impact du Covid-19 chez les femmes entrepreneures.

Le changement est ici considéré au travers du prisme sanitaire. Cette crise questionne très largement les Sciences de Gestion. L’auteur cherche à comprendre comment les femmes définissent la performance et comment ces référentiels ont évolué avec la crise de la Covid-19.

Les résultats mettent en évidence que la crise de la Covid-19 a renforcé l’importance des critères de performance non financière pour les femmes entrepreneures, en particulier le soutien aux communautés locales dans lesquelles le projet entrepreneurial s’inscrit. Ce soutien est un facteur de résilience face aux crises. Enfin, Hadj Nekka et Soukaina Chit s’interrogent sur les nouvelles façons d’aborder le travail au travers de leur contribution intitulée : « L’espace de coworking comme dispositif au service de l’entrepreneur : quels avantages par rapport à l’accompagnement traditionnel ? ».

En effet, un des changements majeurs de notre époque tient, à tous les niveaux, dans le développement de l’accompagnement.

Les auteurs font ressortir que les espaces de coworking peuvent être des facilitateurs et des contributeurs à la réussite des projets entrepreneuriaux. Pour autant, l’accompagnement est complémentaire aux dispositifs traditionnels et certains  types d’espaces de coworking peuvent être plus efficaces que d’autres pour accompagner les entrepreneurs.

Ces différentes productions présentent un double intérêt.

Le premier est pratique. Face à un contexte de plus en plus incertain et complexe, les auteurs mettent en évidence les mutations des comportements face à des mutations fortes et toujours plus rapides. Le deuxième est scientifique, et tient dans la capacité du chercheur à circonscrire le phénomène du changement de la façon la plus complète possible.

Nous souhaitons à toutes et tous une très bonne lecture.


Le mot du Directeur de la publication : Esprit en management

Qu’il me soit permis de mettre en lumière les remarquables contributions du colloque que notre Rédacteur en Chef a organisé : Comprendre et agir dans une société en mutation. Elles ont passé tous les filtres de notre publication et s’ouvrent par l’Humour !

Avoir de l’humour c’est aussi avoir de l’esprit et le second dossier de ce numéro y fait appel également en invoquant si j’ose cette hardiesse, l’Esprit en management par quatre approches venues de tous horizons ! Cela commence d’abord par un court article de mise au point sur les métaphores, Le sens de l’engagement de quatre générations poursuit cette vie de l’esprit dans une présentation qui n’a pas manqué de rebondissements avant d’être publiée. Elle se décline ensuite par un état des lieux sur le management des talents qui se prolonge dans l’analyse des caractéristiques cognitives du conseil d’administration. Nos lecteurs anglophones trouveront en fin, dans cet idiome, même si l’article émane de chercheurs francophones une étude sur les freins au développement du jugement éthique des auditeurs dans les entreprises familiales tunisiennes.

Un tour du monde comme toujours illustre notre ligne éditoriale permanente, celle d’une science de gestion ouverte et multiculturelle.

Actualité du bidonnage ou comment le Ministre de l’Économie assoit les fondements de sa politique

À partir de 137 réponses d’entreprise suite à ce que la Direction générale des Entreprises (DGE) appelle « une vaste consultation en ligne des entreprises, tous secteurs confondus » le Ministre de l’Économie en a tiré des conclusions sur ce qu’attendraient les entreprises françaises des politiques européennes[1] ?

Pour relativiser l’enthousiasme de Bercy, précisons que dans la version 2023, l’INSEE estime à plus de 4,5 millions d’entreprises en France, rien dans les secteurs marchands non agricoles et non financiers[2].

C’est dire qu’avec 137 réponses[3] seulement dans cette enquête menée de mi-novembre à mi-décembre 2023, on se situe dans une absence totale de représentativité, même si aux 16 questions ouvertes, les 137 répondants ont fait 1 300 propositions ! Cela équivaut à un échantillon de 0,01 % !

Même le pire des sondeurs pour chaîne de télévision d’information en continue la moins sourcilleuse, n’oseraient présenter des conclusions péremptoires sur un tel échantillon.

Mais rien ne peut empêcher le Ministre des Finances que rien n’arrête en matière de communication d’entrainer les fonctionnaires de la DGE de son ministère à s’associer de tels résultats sans aucune déontologie. C’est sans doute ce qu’exprime Thomas Courbe, directeur général des Entreprises lors de la présentation lorsque dans un langage technocratique à nul autre pareil, déclare que : « cette consultation aura mis en évidence une grande variété de points de vue, représentative de la diversité des entreprises répondantes (et pas des autres donc ! N.D.L.R.), mais également des tendances et préoccupations qui sont souvent convergentes. Les positions recueillies, rarement contradictoires, sont cohérentes avec les priorités de la DGE : autonomie stratégique, transition écologique, simplification, soutien à l’offre et régulation du numérique. » Le plus simple donc est bien de partir des présupposés des fonctionnaires de Bercy et de faire ratifier par un échantillon non représentatif ! On lirait presque un rapport de l’IFRAP présenté par Agnès Verdier-Molinié, « la voix de son maître » !

Mais parce que « le Chef » est pro-européen et que la campagne des élections européennes approche, abandonnant la plume du romancier, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique s’enthousiasme que : « la consultation menée par la DGE confirme l’attente d’une Europe qui simplifie et qui protège nos entreprises. » et d’ajouter encore : « je souhaite que les attentes exprimées par les entreprises soient prises en compte dans le programme de travail de la prochaine Commission ».

Par-delà cette pantalonnade qui ne peut malgré tout qu’inquiéter sur le bien-fondé des politiques économiques publiques adossées à de tels fondements, on s’arrêtera à cet aveu du communiqué de Bercy : « Au terme d’une mandature riche de la Commission européenne (l’encensoir indispensable

N.D.L.R.), les entreprises répondantes témoignent d’une certaine lassitude et de confusion face aux politiques européennes et aux changements de réglementations, perçues comme vectrices de nouvelles charges administratives ou d’obstacles au développement commercial. » Et cette inflation bureaucratique a eu pour effet qu’ « au cours des cinq dernières années, 76% des entreprises ont eu recours à des ressources nouvelles (recrutement, conseil…) pour se mettre en conformité avec les dernières règlementations, notamment la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et le règlement général sur la protection des données (RGPD). »

L’on ne peut alors que s’inquiéter que le Premier Ministre ait confié à Berçy le soin de prendre les mesures de simplification administrative en faveur des entreprises !

Qu’on se rassure, mais l’est-ce bien ? André Vallini, secrétaire d’État à la réforme territoriale dans un gouvernement Valls, n’avait pas hésité à annoncer que la pitoyable (reconnue comme telle depuis) loi NOTRE permettrait « des économies d’échelles et des suppressions de doublons » … « de 12 à 25 milliards d’euros par an[4] ». Le bidonnage sans vergogne est donc toujours d’actualité !


  1. Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, 12 mars 2024, communiqué n°1623, presse.dge@finances.gouv.fr
  2. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7678574?sommaire=7681078
  3. 51 fédérations et 86 entreprises dont environ 40 PME et ETI, https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/en-pratique/Consultations-publiques/20240411_dge_priorites-europeennes_analyse-consultation.pdf. On notera que les 51 fédérations si elles représentent officiellement des entreprises sont constituées de salariés qui ne sont en rien des entrepreneurs ou des chefs d’entreprise !
  4. https://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2014/05/08/10001-20140508ARTFIG00194-andre-vallini-de-12-a-25-milliards-de-gain-grace-a-la-reforme-territoriale.php

n°324 – Mobilisé(e)s

Rassurons tout d’abord nos lecteurs ! Non La RSG n’entend pas donner dans la fable de l’écriture qui n’a d’inclusive que le nom et ne satisfait que quelques irrédentistes germanopratins! Mobilisé est au féminin comme au pluriel, un participe passé mis à peu près à toutes les sauces et employé sans vergogne par à peu près toute personne disposant d’une once de pouvoir ! Est-ce parce que la crise sanitaire du Covid-19 est apparue en mars, mois dédié depuis Rome au dieu de la guerre, que nos gouvernants ont décidé d’utiliser ces métaphores belliqueuses. Il faut dire que parmi eux, peu ont connu l’armée et le service militaire. Le dernier poilu, tout comme le dernier Compagnon de la Libération ont été portés en terre. Les derniers combattants de la 2nde (que nous préférons à 2e) guerre mondiale sont désormais peu nombreux et très âgés. Alors, faute d’une véritable mobilisation générale, la dernière date de septembre 1939, il fallait bien ranimer cette flamme aux connotations guerrières et dont les synonymes sont : « enrégimenté », « recruté », « embrigadé » ou « rappelé » comme le contingent le fut en Algérie, après « la journée des tomates » du 6 février 1956 avec un service qui passa de 18 à 30 mois. N’est pas Guy Mollet qui veut !

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Tout gouvernant, cherche toujours ces possibilités de gloire sur le terrain militaire. N. Sarkozy et D. Cameron (un patronyme évocateur !) à Benghazi, le 15 septembre 2011, F. Hollande (et L. Fabius) à Tombouctou et Bamako, le 2 février 2013 avaient eu la leur. Il appartenait à leur double héritier de trouver la sienne. Il en décida d’une, le 16 mars 2020, d’une forme inusitée : la guerre sanitaire. Il n’est pas question ici de railler après coup et de manière parfaitement anachronique, les peurs qui ont surgi devant cette menace inconnue et imprévisible d’un virus chinois. Cela ne serait ni sérieux ni intellectuellement honnête. Si une loi d’amnistie ne vient pas, opportunément pour certains[1], tout balayer. Il importera à la justice peut-être, aux historiens plus sûrement, d’évaluer les situations d’alors avec leur origine, de dégager les responsabilités s’il y en a et d’en tirer les leçons.

Notre propos est plutôt de constater que la guerre sanitaire proclamée en 2020 a entraîné depuis une floraison de « mobilisations ». Il semble d’ailleurs que moins il y a d’action concrète, plus le discoureur se dit mobilisé avec ses troupes : une sorte de « drôle de guerre » sanitaire ! Rappelons que la précédente « drôle de guerre », la véritable, sur le front occidental, en France, avait duré quand même huit mois et sept jours. Elle s’acheva en 1940, un jour funeste, le 10 mai, pour faire place à une cuisante défaite.

Le 27 septembre 2023, Élisabeth Borne décrète la « mobilisation générale » contre le harcèlement scolaire. Le 26 octobre, la même promet une « mobilisation générale » en réponse aux émeutes, avant le 13 novembre de sonner la mobilisation des fonds européens. Europe que dès le 16 septembre, elle appelait à la mobilisation et à la solidarité avec l’Italie !

Il est vrai que le 26 avril, toujours en 2023, dans le cadre des « 100 jours », elle avait mobilisé 150 policiers et gendarmes supplémentaires à la frontière italienne. Après quatorze journées de mobilisation réelle des Français contre son texte de réforme des retraites, la Première ministre ne pouvait, par ce vocabulaire belliqueux, qu’essayer de se donner une contenance pour exister.

Mais revenons-en à l’origine de l’emploi disproportionné de ces termes : la crise sanitaire du Covid-19, en 2020. Déjà quelques jours avant la proclamation de la guerre sanitaire, dans un discours[2], le Ministre de la santé, avait utilisé pas moins de treize fois, les vocables « mobilisé(e)s » ou « mobilisation », « exceptionnelle » pour le personnel soignant bien sûr, mais aussi pour le Gouvernement, ses équipes, les agences sanitaires (on a pu apprécié en Île-de-France les fruits !), le consortium REACTing pour le partage d’information scientifique, les directeurs et enseignants et toutes les équipes enseignantes pour le travail à distance, l’hôpital d’Annecy et tout un chacun, avec un doute toutefois sur la « mobilisation » des électeurs au premier tour des Municipales !

Cela fait beaucoup et cela augurait de la suite !

Pas plus que la conjugaison du verbe « assumer », précédé de tous les pronoms personnels n’est une réalité pour les politiciens[3], l’usage répété de la mobilisation ne correspond à rien de réel et n’a même pas une vertu symbolique ! C’est le vide sidéral du discours politique qui, confronté aux événements, témoigne de l’inanité, de la vacuité et de l’emphase. Pas de quoi réconcilier les Français avec leur démocratie mise à mal avec la « lâche tout », petit néologisme, à l’usage des couleuvres avalées par le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel durant cette crise sanitaire en France quant au respect des libertés publiques !

L’un des piliers de la démocratie repose sur la Liberté de la Presse. L’Europe en janvier-mars 2022 avait appelé à une consultation citoyenne sur la liberté des médias. Le 15 décembre 2023, le Règlement européen au nom, on ne sait pas bien pourquoi enanglais, Media Fredom Act (EMFA), fait l’objet d’un accord entre le Parlement et la Conseil de l’UE. La suite devrait venir.

En France, des États généraux de l’information convoqués par la Président de la République, le 3 octobre dernier, devraient s’achever en juin 2024. Nous ne sommes pas certains que ces États-généraux comme les nombreux débats depuis 2017, n’accouchent pas d’une souris. Nous ne sommes pas certains non plus que le « Comité de Pilotage », nommé par le Chef de l’État, ait une légitimité forte autre que celle d’être proche du pouvoir en place. Toutefois, en cette année olympique, « l’essentiel est de participer » ! Espérons que cette participation ne soit pas considérée un jour comme une collaboration connivente d’un recul de plus de cette liberté garantie en France depuis la loi du 29 juillet 1881 !

Les deux institutions dont nous présentons les contributions (page 59) sont, elles, dotées d’une réelle légitimité :

Le CDJM, Conseil de Déontologie journalistique et de médiation, institution libre et associative récente puisque fondée le 2 décembre 2019, est un « organe professionnel d’autorégulation, indépendant de l’État, une instance de médiation et d’arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics ».

Il entend promouvoir la réflexion et la concertation pour les professionnels et servir de pédagogie envers les publics. Le CDJM est composé de trois collèges : les représentants des journalistes, des éditeurs et des publics. (page 60)

La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), plus connue sous l’appellation de la « commission de la carte de presse », est bien plus ancienne puisqu’instituée par la loi en 1935. C’est aussi une commission paritaire entre les éditeurs-employeurs et les journalistes. (page 62).

La presse est certes constituée d’entreprises plus ou moins grandes dans le cadre de l’économie de marché mais avec un statut particulier puisque l’information qu’elle soit politique, générale, économique, culturelle, scientifique ou de loisirs et de sports… n’est pas un produit comme un autre.

La dépendance à l’argent en général, souvent incarnée par la publicité en est un écueil certain puisqu’indispensable et en même temps aux effets qui peuvent être dangereux pour la liberté. Ayons toujours présente cette réponse de feu le patron de TF1 : dans une perspective business, (…) soyons réalistes, à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-cola, par exemple, à vendre son produit (…) . Pour que le message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible[4].

Espérons que la France, pays pro business, selon Manuel Valls, déjà en 2015[5], devenue depuis 2017, la « start-up nation », à l’issue de ces États-généraux où les citoyens ne sont guère partie-prenante, ne tordent pas la liberté de la Presse, et donc la démocratie, à l’aune de préceptes de Patrick Le Lay !

Cette démocratie est aussi celle de la santé, nous avons organisé en ce sens, avec le CNAM Paris, le 20 juin 2023, un colloque intitulé :

Pouvoir d’agir des usagers : bilan et perspectives de la démocratie en santé. Ce premier évènement dont les publications paraîtront en 2024, sera suivi d’un autre colloque, le 13 juin 2024, toujours avec le CNAM Paris et cette année les Universités du Québec sur le thème : Pouvoir d’agir des usagers en France et au Québec : partage de connaissances pour une plus grande démocratie en santé. Du fait des distances, il se tiendra en visioconférence.

(Appel à communication en 4e page de couverture de ce numéro) Remercions Sandra Bertezène qui dirige notre partenaire, la chaire de Gestion des services de santé du Conservatoire National des Arts et Métiers et sa collègue Fatima Yatim de faire le pont entre ces deux colloques, posant la question de recherche fondatrice : Quel cadre épistémologique pour la démocratie en santé ? (page 11)

Comme l’on vient de le voir, avec ironie, la Covid a laissé une empreinte guerrière sur le vocabulaire politique. La crise sanitaire elle, a eu un impact sur les organisations et des effets sur les populations. Ce sont les titres des deux dossiers de ce numéro qui « encadrent » les contributions aux États-généraux de la presse que nous venons de présenter.

Comme toujours notre revue ne limite pas son champ géographique et culturel. Nous sommes ravis que des chercheurs de tous les continents nous apportent leurs analyses de terrain et leurs expériences.

Les risques de dépendance accrus pour la génération Z en lien avec les enceintes connectées, les perceptions différentes entre les hommes et les femmes du télétravail ou le référentiel comptable des entités à but non lucratif au sein de l’espace de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, ont subi les effets de la crise sanitaire ! Tout cela est notre premier dossier.

• La vaccination contre la Covid-19 quant à elle, vaste sujet qui suscite tant de polémiques en France depuis 2021, peut avec très grand profit, être vue depuis le vaste continent africain, qui, reconnaissons-le, a plus de choses à nous apprendre que nous ne le pensons. C’est le comportement de Consommation Santé d’une part et une étude sociodémographique qui analyse les déterminants de l’adoption du vaccin d’autre part qui constituent le second dossier.

Si la crise sanitaire a bien changé nombre de comportements, ne renonçons pas à exercer tout esprit critique qui fonde la recherche scientifique et acceptons de débattre de tout avec tous, en toute liberté, pour défendre la liberté de la presse, quelle qu’elle soit, qu’elle partage ou non nos idées. Nous serons alors mobilisés pour de vrai et pour de vraies valeurs !


1. Philippe Naszályi, « Gestion du Covid-19 : un modèle de Kakistocratie, où règnent les médiocres ! », 20 juin 2020, Revue Politique et Parlementaire, https://www .revuepolitique.fr/

2. Déclaration de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur les mesures pour lutter contre l’épidémie du coronavirus, à Paris le 4 mars 2020.

3. Philippe Naszályi, « Assumer », La Revue des Sciences de Gestion, n°323, page1-2, octobre-novembre 2023

4. Patrick Le Lay, PDg de TF1, « The digital Deluge », « The Harold Innis lecture », Innis College, Université de Toronto, 16 novembre 2000, cité par Mario Cardinal : « Il ne faut pas toujours croire les journalistes », Bayard Canada, Montréal 2005, page 49.

5. Manuel Valls, « La France est un pays attractif, c’est un pays pro-entreprises, un pays pro-business, un pays qui avance et qui se réforme », Pékin, 30 janvier 2015, https://www.gouvernement.fr/actualite/3257-la-france-est-un-pays-attractif-c-est-un-pays-pro-entreprises-un-pays-pro-business-un-pays-qui.

n°320 – Mundus universus exercet histrioniam

Philippe Naszályi

Qu’il me soit permis de commencer cet éditorial d’un numéro qui traite notamment de finance par ce vers de Pétrone qui me revient très souvent à l’esprit depuis mes humanités, il y a de cela plus d’un demi-siècle. « Le monde entier joue une vaste comédie », en est la traduction classique, même si le mot histrioniam, doive, à mon sens, se traduire par un terme plus fort que « comédie », plutôt par « farce » grossière voire caricature, et cela dans l’esprit du théâtre latin et celui de Pétrone et son Satyricon.

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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C’est en effet, le retour depuis peu et de nouveau, de la crainte du jugement des agences de notation, au moment où la peur de l’inflation ressurgit sur les marchés et induit des politiques déflationnistes. L’histoire nous a pourtant appris leurs effets délétères pour les peuples et les économies. Tout cela ne peut que nous replonger dans ces farces politiciennes qui ne sont même plus drôles tant elles sont morbides ! Les principules qui nous dirigent depuis quelques années, plus affidés que jamais aux intérêts financiers, tremblent devant ces pauvres censeurs que sont ces agences qui, pourtant, et l’histoire une fois encore nous le rappelle, ne pressentent jamais rien, ne comprennent qu’après toutes les crises, les causes qu’elles n’ont ni vues, ni analysées, ni anticipées. Comme Marx le disait déjà : « L’histoire ne se répète pas, ou alors seulement la deuxième fois en farce ! »

Nous y sommes donc et ces maîtres du moment s’ils n’ont « rien appris » ont en revanche « tout oublié » pour se différencier de la célèbre formule de Talleyrand. « Tout oublié », c’est bien le plus grave pour des experts auto-proclamés et des gouvernants à la dérive.

Il faut dire que ces castes aux affaires sont quasiment interchangeables. Il est amusant de recevoir les doctes leçons de gestion du Premier président de la Cour des Comptes qui fut, il y a peu, un médiocre ministre de l’économie et des finances avec pour collègue Jérôme Cahuzac. Il faut se pincer pour ne pas rire, si cela se peut encore, pour considérer les avis de constitutionalité sur nos libertés en période de Covid ou sur la réforme des retraites de deux anciens Premiers ministres siégeant au Conseil constitutionnel. L’un est expérimenté d’un passage devant la Cour de justice de la République dans une terrible affaire de morts, et l’autre, un repris de justice condamné à 14 mois de prison avec sursis « pour prise illégale d’intérêt ».

Et pourtant, la situation pour les organisations que sont les entreprises comme les structures sans but lucratif qui pallient les tares et échecs du système économique, ne devrait pas prêter à rire tant les temps semblent incertains et les dangers de déflagration, y compris en Europe, bien réels.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons tenus à présenter en ouverture de ce numéro, un article qui nous rappelle que la guerre d’Ukraine, certes d’abord favorable aux intérêts états-uniens, a aussi un effet sur les marchés financiers de nos partenaires européens, jadis situés derrière le Rideau de Fer, les PECO (page 11). Le premier dossier : « information et finance » découle tout naturellement de cette problématique qui trouve aussi son illustration dans cette autre approche de la finance qu’est « la comptabilité ».

Compte tenu des risques importants qui pèsent sur la stabilité macro financière mondiale, les pays doivent faire tout leur possible pour renforcer le dialogue afin de résoudre diplomatiquement les tensions géopolitiques et prévenir la fragmentation économique et financière, telle est la sage conclusion du Rapport sur la Stabilité financière du Monde, établi par le FMI en avril*.

Nous ne pouvons, à l’échelle de la gestion, que souhaiter que la « vaste comédie » à laquelle nous assistons retrouve la sagesse de « se corriger par le rire » « castigat ridendo mores » plutôt que de sombrer dans la tragédie qui pourrait s’en suivre !

* https://www.imf.org/fr/Publications/GFSR/Issues/2023/04/11/global-financial-stability-report-april-2023.

n°323 – Assumer

Il y a bien longtemps que, comme nombre de nos compatriotes, je suis fasciné par l’utilisation d’un verbe par tout ce qui compte dans le personnel politique français : Un usage à tort et à travers d’« assumer ». Un peu benoîtement, ce mot avait pour moi un sens fort et concernait des situations plutôt cornéliennes. Dans les Mémoires de Guerre du « plus illustre des Français », on trouve ce qui est le véritable sens d’assumer dans son amplitude et sa réalité tragique : « en ce moment, le pire de notre histoire, c’était à moi d’assumer la France[1]. »

par Philippe Naszályi – Directeur de La RSG

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Il y a bien longtemps que, comme nombre de nos compatriotes, je suis fasciné par l’utilisation d’un verbe par tout ce qui compte dans le personnel politique français : Un usage à tort et à travers d’« assumer ». Un peu benoîtement, ce mot avait pour moi un sens fort et concernait des situations plutôt cornéliennes. Dans les Mémoires de Guerre du « plus illustre des Français », on trouve ce qui est le véritable sens d’assumer dans son amplitude et sa réalité tragique : « en ce moment, le pire de notre histoire, c’était à moi d’assumer la France[1]. »

Hors, assumer est l’un des mots les plus employés par l’actuel Président français, successeur très lointain du Général, et par ses nombreux affidés. Utilisé à peu près pour tout et son contraire, on n’est pas certain que l’actuel locataire de l’Élysée ait bien compris le sens de ce mot et son implication pour lui. Quant à nous « le vide effrayant du renoncement général » nous saute immédiatement aux yeux avec la même évidence, mutatis mutandis, que ce décrivait Charles de Gaulle : « Une clique de politiciens tarés, d’affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes et de mauvais généraux se ruait à l’usurpation en même temps qu’à la servitude[2] » a repris le pouvoir. Les « profiteurs d’abandon » et « les débrouillards de la décadence[3] », comme en 1948, tiennent de nouveau le haut du pavé !

Mais revenons à ce verbe si usuel dans le vocabulaire de nos politiciens. Assumer, c’est une double responsabilité. En effet, le préfixe (rare) latin « sum », dans l’esprit du grec « syn », « avec », est renforcé par le préfixe « ad » qui lui, indique la direction et vient parfaire le verbe « emere », prendre. Assumer, c’est donc, une action forte voire très forte, qui implique un engagement personnel par ces deux préfixes qui s’additionnent.

Assumer, c’est prendre sur soi tout le poids d’une situation et revêtir une sorte de tunique comme Nessus. Cela ne peut pas être évidemment imposer à d’autres les peines des décisions qu’on a prises !

On ne peut s’empêcher à ce niveau étymologique de se rappeler également qu’en latin courant le supin d’assumere, assumptum, est aussi devenu adsumentum, qui se traduit par « morceau de rapiéçage ». Voilà bien le sens figuré qu’il convient d’entendre chaque fois que ces doctes politiciens se targuent d’assumer à propos de tous les sujets.

Voilà bien le véritable sens de la politique assumée par ces gens-là !

Ainsi, assumer la réforme des retraites, c’est donc tout simplement dénaturer le sens même du verbe, le détourner, le torde jusqu’à le rendre méconnaissable. Ce n’est pas le Ministre du Travail, la Première-ministre ou le Président qui assument[4], mais l’ensemble des Français, hormis ceux qui, bien tranquilles, sont déjà à la retraite et souvent approuvent cette mesure pour les autres ! C’est l’ensemble des travailleurs qui vont attendre deux ans de plus pour avoir accès au repos.

En fait, assumer, qui signifie prendre pour soi la pénibilité de l’action, est devenu : « je vous fait mal, je vous enferme, je vous insulte mais rassurez-vous, je me fiche complètement de votre avis, de votre souffrance, de votre opposition, et si vous ne m’aimez pas, en fait, cela me va très bien, c’est cela que j’assume ! »

Je partage l’avis de mon confrère de Libération qui faisait justement remarquer, il y a peu, dans une tribune, sur France Inter, qu’« assumer » signifie aujourd’hui « se foutre complètement de toute morale[5] ! »

Déjà en 2017, toujours sur France Inter, Fréderic Seys, se moquant de l’emploi déjà fréquent de « j’assume », par le « nouveau monde » politique fraichement élu, constatait qu’« en français de l’ancien monde », « j’assume » se disait « circulez, il n’y a rien à voir[6] ».

Autrement dit, cette « nouvelle formule magique » vise à couper court à tout débat, toute interrogation mais aussi à toute recherche et à toute réflexion ! Nous ne sommes donc pas, loin de là, les seuls à nous en plaindre et à fustiger cet emploi excessif voire scandaleux. Rien d’original donc pourriez-vous dire !

Et bien, non ! Car constater le vide de la pensée politique et son immoralité ne nous semble pas suffisant. Le numéro que nous introduisons par cette dénonciation, se veut aussi jeu de mots : assumer, c’est donc « prendre en compte » les faits, les réalités et leurs conséquences.

Voilà pourquoi prendre en compte, inspire le premier dossier : Rôle de l’État : fiscalité et organisation comptable qui débute par un article qui décrit « les relations entre le niveau d’imposition et la gouvernance d’entreprise dans le contexte français » (page 11). Sur la même thématique, mais à partir de l’étude de 269 entreprises au Cameroun, nous nous interrogeons sur la promotion des investissements à l’aune des incitations fiscales et de son optimisation (page 25). Le dernier article de ce premier dossier s’illustre en Asie cette fois et en particulier au Viet Nam par une prise en compte de la perception par les professionnels des réformes comptables

voulues par l’État ! (page 35).

Poursuivant cheminement méthodologique de la prise en compte : La gestion comptable et les performances entrepreneuriales, déroule une étude sur la « qualité de l’information comptable et la performance d’entreprise » (page 53). Prenant source au Maroc, (page 67), les auteurs s’interrogent sur la création de richesse par la valeur ajoutée sur une longue durée (2004-2018) et en analysant 136 sociétés (68 firmes initiatrices et 68 entreprises de contrôle) ; Enfin, dans la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), créée en 1994, et qui compte six pays, l’étude présentée ici (page 79), démontre « que la méconnaissance ou l’inadéquation de certains éléments clés de la flexibilité organisationnelle dans le management des Établissements de microfinance (EMF) serait à l’origine de leur disparition précoce ».

Ces six articles, inspirés d’exemples bien au-delà des frontières hexagonales ou des lieux géographiquement restreints, étudiés exclusivement par les auteurs du mainstream qui nous fait tant de mal, apportent une ouverture à tous les gestionnaires qui ne croient pas que la science se limite à copier médiocrement mais à se comparer, s’enrichir des autres et s’inspirer de modèles différents.

Nous sommes fidèles à notre conviction réaffirmée depuis près de 60 ans que la comparaison des différents modes de gestion selon les cultures, est la seule voie d’un progrès collectif : Diriger, c’est obtenir un résultat par d’autres que soi et c’est aussi être responsable de ce que d’autres ont fait[7], c’est à coup sûr cela assumer et nous assumons donc ces choix d’ouverture aux autres !


1. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome i, « l’Appel (1940-1942) », 1954, Paris, Plon, p. 73.

2. Charles de Gaulle, Discours prononcé au comité national français d’Égypte et diffusé par la radio de Londres, 18 juin 1941.

3. Charles de Gaulle, Discours prononcé au Vélodrome d’hiver, aux délégués des groupes d’entreprises du RPF, 14 décembre 1948.

4. Réforme des retraites : Emmanuel Macron assume son texte, 22 mars 2023, France Info.

5. Dov Alfon, directeur de la publication et de la rédaction du journal Libération, France Inter, lundi 10 octobre 2022.

6. 21 décembre 2017.

7. Octave Gélinier, 1963, Fonctions et tâches de direction générale.