n°334-335 – La réalité est toujours infiniment plus variée que ce que n’importe quelle théorie peut saisir*

Philippe Naszályi
Directeur de LaRSG

Nous avons choisi le père de la sociologie pour exprimer avec une limpidité remarquable, la manière dont La Revue des Sciences de Gestion conçoit la recherche depuis sa fondation. La connaissance ne se réduit jamais aux cadres que nous dessinons pour la saisir. Les organisations, les pratiques, les territoires et les comportements débordent toujours les catégories que nous élaborons pour les comprendre. Le réel ne se laisse pas enfermer dans une formule. Il surprend, résiste, déjoue les simplifications. Depuis soixante ans, la plus ancienne revue francophone de management assume pleinement et avec impertinence ce rapport exigeant au terrain et aux faits, en refusant toute réduction systématique au profit d’une compréhension patiente et plurielle des phénomènes. Et cela n’en déplaise aux « classeurs » de tout poil. En la matière, je fais mien cet aphorisme prêté à Sacha Guitry : « Il parait qu’il y a des gens qui classent tout. Ce sont les mêmes qui, finalement, ne comprennent rien ! »

Soixante ans : un anniversaire, pas une retraite

Cette année 2025 revêt ainsi une signification particulière. La revue célèbre ses soixante ans. En France, cet âge évoque immédiatement la retraite. Cet âge plus que jamais anime les oppositions syndicales tout comme les joutes oratoires des plateaux de télévision ou des assemblées avec le retour à un seuil devenu presque mythique depuis François Mitterrand.

Rien de tout cela n’est d’actualité pour La Revue des Sciences de Gestion. A soixante ans, elle ne songe nullement à ralentir. Elle ne prend pas non plus sa retraite. Elle ne s’y prépare pas. Elle ne montre aucune intention de le faire. Bien au contraire, elle poursuit avec la même vitalité l’exploration des organisations, l’accueil des travaux venus de différents continents et la confrontation des approches théoriques. Le numéro double qui s’ouvre ici est l’avant-dernier de cette année du soixantenaire, prélude direct aux journées de Marrakech les 10, 11 et 12 décembre 2025.

Notre jubilé, ou plutôt les « noces de diamant » de La RSG seront fidèles à notre ouverture à toutes les cultures francophones.

Ce triduum se déclinera d’abord par deux colloques dans le cadre des 3es Rendez-vous du management de Marrakech (RMM) qu’a lancé le Professeur Nabil Ouarsafi et auxquels nous sommes associes depuis le début !

  • Un large débat sur le travail s’illustre par un thème désormais central dans les organisations comme dans le débat public, à savoir la question de savoir s’il faut travailler plus, travailler moins ou travailler autrement.
  • La démocratie en santé et le pouvoir d’agir des usagers est l’objet, le 11 décembre, du 3e colloque que notre revue organise, en partenariat avec la chaire de Gestion des services de santé et le laboratoire Lirsa (EA4603) du Conservatoire national des arts et métiers[1]. Partenaire incontournable, sa directrice Sandra Bertézène a, en plus, coordonné la publication, aux éditions LEH, du volume de plus de cinq-cents pages qui réunit toutes les contributions des deux premiers colloques que nous avons organisés en 2023 à Paris et en 2024 à Paris et Montréal (bulletin de commande.)

Les Doctoriales offriront en outre à de jeunes doctorants marocains un accompagnement méthodologique et scientifique, prolongeant ainsi le rôle de transmission qui fait partie de l’identité de la revue grâce à la venue de membres de notre comité de rédaction.

Enfin, les prises de parole des personnalités françaises et marocaines lors des festivités du soixantenaire répondront à la question de savoir ce que signifie durer pour une revue scientifique, sans devenir immobile ni répétitive, avec le témoignage d’autres directeurs de revues francophones, venus partager cette fête de la recherche en management !

Une fidélité au terrain et à la complexité du réel

En effet, depuis six décennies, la revue défend une manière précise de comprendre les phénomènes de gestion : partir du terrain, observer les pratiques, écouter les acteurs, suivre les processus, au lieu de plaquer un modèle préétabli. Cette fidélité à l’enquête et à la situation concrète est l’un des fils rouges de son histoire. Marc Bloch le rappelait avec une image devenue classique lorsqu’il écrivait que le bon historien ressemble à l’ogre de la légende, car là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier[2]. La connaissance en science de gestion comme en Histoire ne nait pas d’une construction abstraite ; elle se forme dans le contact avec la vie sociale.

Henry Mintzberg, dont les travaux empiriques ont renouvelé la compréhension du management et inspire tant de recherches, dont mes travaux de thèse, l’a formulé avec la même exigence : Pour comprendre ce qui se passe vraiment dans les organisations, il faut sortir de son bureau et aller sur le terrain[3]. Les routines, les ajustements, les réponses improvisées, les solutions ad hoc, tout ce qui échappe à la formalisation immédiate fait partie intégrante du fonctionnement réel. L’historien et le spécialiste des organisations se rejoignent : le savoir exige de regarder ce qui agit et non ce que l’on imagine qui devrait agir.

Cette posture n’a jamais quitté la revue. Elle est pour ainsi dire constitutive de son identité. Elle a permis d’accueillir, depuis 1965, des travaux venus de mondes différents, porteurs de traditions intellectuelles variées, nourris d’expériences contrastées. Elle a rendu possible la rencontre entre l’analyse institutionnelle, la théorie des organisations, la sociologie du travail, la gestion publique, la finance, le marketing, l’économie territoriale ou encore la gouvernance coopérative. La Revue des Sciences de Gestion n’a jamais cherché l’uniformité. Elle a proposé la fécondité. Voilà pourquoi une fois de plus, elle est inclassable et surtout pas avec des normes venues d’ailleurs et inadaptées. « La pensée ne doit jamais se soumettre : ni a un dogme, ni à un parti, ni à une passion ; ni à un intérêt, ni a une idée préconçue ; mais seulement aux faits établis[4]. »

Une revue naturellement ouverte

C’est à cette lumière que prend tout son sens la citation de Max Weber que nous avons choisi pour titre de cet éditorial. Les terrains réunis dans ce numéro en témoignent. Ils proviennent d’Afrique francophone, d’Europe, du Congo, du secteur coopératif champenois, de l’industrie régulée, du marché de la téléphonie. Ils ne forment pas une mosaïque disparate mais un ensemble cohérent qui montre que la gestion se pense à l’échelle du monde, dans la diversité des continents, des cultures et des institutions.

Trois contributions ouvrent ce volume pour présenter un État de la question ou de la recherche.

1. Une revue systématique de la littérature sur l’aliénation du consommateur montre comment un concept ancien retrouve une pertinence contemporaine à l’heure des crises, des scandales et des mouvements d’anti-consommation.

2. Présenter la recherche africaine en contrôle de gestion, en s’appuyant sur les Journées d’Étude Africaine en Comptabilité et Contrôle, met en évidence la construction progressive d’un espace scientifique africain capable de produire ses propres cadres analytiques.

3. Analyser vingt années d’entrepreneuriat féminin congolais montre comment inclusion sociale, création de valeur et ancrage territorial se combinent dans un environnement institutionnel complexe.

Ces trois états de la recherche ne se contentent pas de faire un bilan ; ils ouvrent des agendas, des pistes, des chemins possibles.

Quatre articles riches d’actualité interrogent les tensions contemporaines et prolongent ces analyses en abordant des enjeux très concrets car l’ambiguïté est une caractéristique centrale de la vie organisationnelle[5]. Ils examinent les tensions interpersonnelles dans les réseaux vertueux, les critères mobilisent par le capital-risque dans la sélection des projets, les liens entre leadership transformationnel, motivation et créativité, ainsi que les effets de la norme IFRS 16 sur la présentation financière des entreprises.

Trois études de cas referment le numéro. Elles portent sur la croissance extra-organisationnelle d’une union de coopératives champenoises (du champagne pour nos 60 ans !), sur les spécificités du pilotage budgétaire dans une entreprise régulée, et sur la construction de la confiance dans les opérateurs de téléphonie auprès de jeunes adultes. Elles montrent que la gestion se comprend toujours au plus près des situations car l’étude de cas n’est pas un détour, mais un accès privilégié à la compréhension du social[6].

Et maintenant : ad multos annos !

Ainsi conçu, ce numéro illustre concrètement ce que la revue défend depuis soixante ans : une recherche qui relie plutôt qu’elle ne sépare, qui accueille plutôt qu’elle n’exclut, qui se nourrit du réel plutôt que de s’en détourner.

Henri Bergson résume bien cette posture lorsqu’il écrit que l’intelligence n’est pas faite pour se reposer, mais pour aller toujours plus loin[7].

Soixante ans ne sont pas un terme mais un élan. Marrakech en sera le prolongement, les Doctoriales en seront la transmission, et les numéros à venir en seront l’approfondissement.

La Revue des Sciences de Gestion n’entre pas en retraite. Elle continue d’avancer.


* Die Wirklichkeit ist immer noch unendlich vielgestaltiger, als es jede Theorie zu fassen vermag, Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre Tübingen, Mohr Siebeck, 1922, p. 170. (Articles réunis sur la théorie de la science).

1. https://culture.cnam.fr/decembre/pouvoir-d-agir-des-usagers-en-europe-en-amerique-en-afrique-partager-les-savoirs-pour-une-plus-grande-democratie-ensante-1559750.kjsp

2. Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1949, p. 17.

3. Henry Mintzberg, Le management : Voyage au centre des organisations, traduction française de Mintzberg on Management, Paris, Éditions d’Organisation, 1990, p. 312. Mintzberg on Management, New York, Free Press, 1989, p. 13.

4. Henri Poincaré, La morale et la science, conférence prononcée en 1912, publiée dans Henri Poincaré, Dernières pensées, Paris, Flammarion, 1913, p. 125.

5. Ambiguity is a central characteristic of organizational lifeJames, G. March et Johan P. Olsen, Ambiguity and Choice in Organizations, Bergen, Universitetsforlaget, 1976, p. 10

6. Michel Wieviorka, L’importance du cas, Paris, Éditions Robert Laffont, 2021, p. 12.

7. Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1932, p. 118.

Programme du colloque 2025 : Démocratie en santé et pouvoir d’agir des usagers

Programme du colloque 2025 : Démocratie en santé et pouvoir d’agir des usagers
Pouvoir d’agir des usagers en Europe, en Amérique, en Afrique… Partager les savoirs pour une plus grande démocratie en santé

Les Rencontres de la chaire de Gestion des services de santé du Cnam, le laboratoire Lirsa (EA4603), et la Revue des Sciences de Gestion s’associent pour organiser la 3e édition du colloque “Démocratie en santé et pouvoir d’agir des usagers”.

Cette rencontre, qui s’inscrit au cœur des célébrations des 60 ans de la revue à Marrakech, rassemblera des experts, chercheurs et praticiens issus de différents continents.

Après avoir exploré les dynamiques en Europe en 2023, puis en Europe et au Québec 2024, le colloque 2025 propose d’élargir la réflexion à l’Afrique et aux autres régions du Monde.

Organisé par Sandra Bertezene, professeure du Cnam titulaire de la chaire de Gestion des services de santé, dans le cadre de la mission de diffusion de la culture scientifique du Cnam (avec le Laboratoire interdisciplinaire en sciences de l’action – Lirsa).

Ce cycle de conférences-débats complète les enseignements de l’équipe pédagogique nationale Santé-Solidarité et s’adresse à tous.


PROGRAMME

10h30 – 12h30 | Conférence – Démocratie en santé et pouvoir d’agir dans les hôpitaux, les établissements médico-sociaux et les projets territoriaux de santé mentale: paroles d’usagers et de dirigeants

  • Pauline MAISANI, directrice générale adjointe du Groupe Hospitalier Universitaire Sorbonne, directrice de la Pitié Salpêtrière
  • Gérard ABRAHAM, usager expert auprès de la Haute Autorité de santé (HAS), représentant des Usagers au sein Groupe Hospitalier Artois-ternois, représentant des usagers au sein de la maison des usagers du Centre Hospitalier de Lens
  • Claire VINCENT, directrice adjointe, Groupe Hospitalier Artois-Ternois, Centre Hospitalier d’Arras
  • Christos PANAGIOTOPOULOS, directeur, appui au projet d’établissement, innovation et transformation, coordinateur, Projet Territorial de Santé Mentale Seine-Saint-Denis

14h – 17h | Ateliers – La démocratie en santé et le pouvoir d’agir des usagers: retours d’expérience, témoignages et résultats de recherche

Atelier 1 – Pouvoir d’agir des professionnels et des patients: partenariat de soin, expérience patient, co-design, collaboration et autonomie des soignants, etc.


Proposition d’une feuille de route pour développer le partenariat en santé en France
Célia BOURGEAC, étudiante double diplôme Pharmacie et Sciences Po Master Affaires européennes
Pierre-Alexis PASCO, étudiant en master Carrières Publiques à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence


Le Label « Partenaires en santé »: un dispositif innovant visant à reconnaître, accompagner et évaluer les pratiques de partenariat dans les milieux de santé et de services sociaux du Québec
Geneviève DAVID, Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public (CEPPP), Centre de recherche du CHUM (CRCHUM)


Le statut des patients partenaires: du bénévolat au salariat? Quelle stratégie managériale?
Sofiane CHERFI, chargé de cours à l’IESEG et HEI école d’ingénieurs


Les facteurs de l’apprentissage organisationnel dans le cadre de l’expérience patient: expérimentation au sein d’un hôpital public français
François KOUKOUI, médecin cardiologue, chef de pôle Santé publique et Soins de suite et de réadaptation, Centre Hospitalier Sud Francilien


Vers un renforcement de l’autonomie et du pouvoir d’agir des cadres paramédicaux?
Marc-Antoine JACOB, maître de conférences en Sciences de gestion, Conservatoire national des arts et métiers, laboratoire Lirsa


Démocratie en santé et santé au travail
Nicole MISSIAMENOU, fondatrice et ambassadrice de WPSI Consulting Group SAS

Atelier 2 – Numérique, art et démocratie en santé dans les territoires


Les réseaux sociaux, levier du pouvoir d’agir des patients atteints de syndromes post-infectieux? Une comparaison internationale
Christine Noël Lemaitre, MCF HDR Aix Marseille Université, UR 892 Laboratoire de théorie du droit LTD, chercheur associée au LIR3S UMR 7366 Unibourgogne
et Didier Chabanet, directeur de la Recherche, IDRAC Business School Lyon, chercheur au laboratoire Triangle de l’ENS Lyon


Axel, un accélérateur industriel né d’une intervention syndicale et citoyenne – associer salariés, chercheurs, soignants et patients à l’élaboration des technologies de santé
Michel PERNET, journaliste
et Franck PERRIN, cadre technique chez Trixell-Thales


La contribution des chatbots médicaux au développement du pouvoir d’agir des patients en France, au Maroc, en Tunisie
Mohamed Anouar LAHOUIJ, enseignant en Sciences de l’information et de la communication, Université de Strasbourg
et Widiane FERCHAKHI, maître de conférences en Sciences de gestion, Université de Haute Alsace, laboratoire Greco


Le laboratoire émotionnel, une expérience sur les liens entre santé, culture et citoyenneté
Viviane JAUFFRET SERON, comédienne et dramathérapeute accréditée, élève au Cnam master Innovation entreprise et société

Alice ANBERREE, enseignante-chercheuse en sciences des organisations, Cnam, laboratoire Lirsa

Thierry CHARLOIS, chargé de l’action citoyenne et du comité d’orientation, Théâtre de la Concorde


Rose Tangos: une pièce de théâtre nourrie de l’expérience du parcours de patientes ayant un cancer du sein
Christelle JOUANNAUD, oncologue, Institut GODINOT
et Véronique et BATTEUX, patiente partenaire et référente en rétablissement en cancérologie


Gouverner la santé avec les usagers: le cas néo-aquitain
Oumaima OMARI HARAKE, doctorante en Sciences de Gestion, Université de Poitiers, Laboratoire CEREGE

Atelier 3 – Pouvoir d’agir et démocratie en santé dans les secteurs sanitaire, social et médico-social


La participation des usagers au prisme des politiques d’organisation du champ de l’autonomie: l’exemple de la transformation de l’offre médico-sociale en France
Loïc ANDRIEN, chercheur associé, chaire Transformation des organisations et du travail, Sciences Po Paris


Freins et limites de l’application des principes juridiques garantissant le pouvoir d’agir et la citoyenneté des résidents au sein des Ehpad
Kiara CHEGAI, responsable projet-formation, Fondation Médéric Alzheimer


Analyse des impacts du Comité de Vie Sociale (CVS) et de la Commission des Menus sur les soins et la gouvernance des ESMS: cas d’un Ehpad et d’une Résidence Autonomie
PASSE Edmond, enseignant à l’EDC Paris Business School


Parole d’usagers en santé mentale
Franck PEINAUD, administrateur et bénévole, Fédération nationale des associations d’usagers en santé mentale (FNAPSY)


Du consultatif au décisionnel: évaluer le co-design comme levier du pouvoir d’agir des usagers dans la gouvernance hospitalière
Sarah GOURDINE, directrice des ressources matérielle, Établissement Public de Santé Mentale de la Guadeloupe


Le dossier de soins: au fondement de la qualité des soins et du pouvoir d’agir des usagers en Tunisie
Sonia BEN HADJ HASSEN, professeure, École des sciences infirmières de Kairouan

17h | Conclusion

  • Philippe NASZÁLYI, directeur de La Revue des Sciences de Gestion, professeur des Universités honoraire, président de la Conférence de Territoire puis du Conseil Territorial de Santé de l’Essonne (2013–2022)
  • Sandra BERTEZENE, professeure du Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire de Gestion des services de santé, Laboratoire Lirsa

Programme des Rendez-vous du Management de Marrakech 2025

Le comité d’organisation de la 3e édition du congrès International « Les Rendez-vous du Management de Marrakech », des 10 – 11-12 décembre 2025, organisé par l’Université Hassan 1er et la Faculté d’Economie et de Gestion de Settat, a le plaisir de vous présenter le programme de l’événement qui débutera au Théâtre MEYDENE (M Avenue) à Marrakech, à partir de 14h.

Cette édition traite une problématique majeure au centre des préoccupations nationales et internationales : « Travailler plus ? Travailler moins ? ou Travailler autrement ? »

Pour apporter un éclairage pertinent et approfondi, des intervenants représentant des institutions mondiales seront présents pendant 3 jours pour animer des activités d’intérêt majeur.

KEYNOTE SPEAKERS – 10 décembre : 14h30, Meydene

Hicham EL BAYED – Faculté d’Economie et de Gestion, Université Hassan 1er
Philippe NASZALYI – Directeur de La Revue des Sciences de Gestion
Ewen LEMOINE – Fondateur El Conseil & Formation
Houda BARAKATE – Directrice Générale EFE- Maroc
Ibrahima FALL – Directeur de l’Institut du Travail Réel

MASTER CLASS – 11 décembre : 08h30, M TECH – HR Days

Amine ROSSAFI – Directeur exécutif de l’Académie de l’EFE
Kaoutar MANERA – Country Human Resources Director chez Hilton
Eric LE DELEY – Directeur Génrale Délégué Adadémique Montpellier Business School
Thomas DENAYER – Directeur de communication Cliniques Universitaires Saint-Luc Université Catholique de Louvain-Bruxelles
Larbi SAFAA – Enseignant-chercheur Université Cadi Ayyade

FORMATION DOCTORALE – 12 décembre : 08h30, M TECH

Yves SOULABAIL – Secrétaire général de La Revue des Sciences de Gestion – Enseignant-chercheur Istec Business School Paris
Eric SEVERIN – Université de Lille
Jérôme BARAY – Vice-président de Le Mans Université
Daniel BRETONÈS – Directeur de la revue Vie & Sciences de l’Entreprise

Livre : “Démocratie en santé et pouvoir d’agir des usagers”


Cet ouvrage réunit 58 auteurs, tous spécialistes du pouvoir d’agir et de la démocratie en santé : pairs-aidants et patients partenaires, représentants des associations d’usagers, infirmiers et médecins, directeurs d’établissements, enseignants-chercheurs, etc. Ces différents regards, ces expériences différentes et complémentaires braquent le projecteur sur les avancées, les réalisations actuelles, mais également les défis à relever pour que les savoirs nés de l’expérience de chacun puissent…




Livre Démocratie en santé et pouvoir d’agir des usagers
Sous la direction de Sandra Berthézène, Démocratie en santé et pouvoir d’agir des usagers, LEH, 2025.

Les tensions sur le marché de l’emploi en France : constats et perspectives

Le marché de l’emploi en France connaît depuis plusieurs années une intensification des tensions. Loin d’être un phénomène conjoncturel lié uniquement à la sortie de crise sanitaire, ces déséquilibres s’inscrivent dans une dynamique plus profonde. Ils traduisent à la fois des difficultés structurelles de formation, des mutations sectorielles rapides et des évolutions dans les aspirations des travailleurs. L’artisanat, secteur historiquement résilient, en fournit une illustration exemplaire. Selon le dernier baromètre ISM-MAAF, malgré un niveau d’emploi encore élevé, les entreprises artisanales peinent à recruter, les offres progressant plus vite que le vivier de candidats disponibles¹. Ces constats rejoignent ceux dressés par la DARES et par l’INSEE, qui soulignent l’ampleur des tensions dans l’ensemble du tissu économique français².

Des tensions généralisées sur le marché de l’emploi mais différenciées selon les secteurs

En 2023, près de trois métiers sur quatre étaient considérés comme « en forte tension », couvrant environ 68% de l’emploi total³. Cette proportion constitue le plus haut niveau observé depuis plus d’une décennie. Les secteurs du bâtiment et des travaux publics, de l’industrie de production, ainsi que les services de proximité, concentrent la majorité des difficultés.
Dans l’artisanat, le baromètre ISM-MAAF relève une croissance spectaculaire des offres d’emploi : plus de 490 000 ont été publiées en 2024, soit une augmentation de 46% depuis 2019⁴. Dans le même temps, le nombre de demandeurs d’emploi dans ces métiers a reculé de 12%. La combinaison de ces deux tendances explique l’ampleur des déséquilibres : pour certains métiers, plus de 80% des recrutements sont jugés difficiles. C’est le cas des couvreurs, chaudronniers ou carrossiers automobiles⁵.

Ces tensions ne sont cependant pas uniformes. Alors que certains métiers connaissent une raréfaction des candidats – charcutiers-traiteurs, plâtriers, soudeurs – d’autres, au contraire, voient affluer des vocations parfois au-delà des débouchés réels. Les brasseurs, fromagers ou pâtissiers, emblèmes de reconversions post-Covid, connaissent une hausse significative du nombre de demandeurs d’emploi⁶. Le marché oscille ainsi entre pénurie et excès d’offre, révélant une inadéquation croissante entre les trajectoires individuelles et les besoins collectifs.

Les ressorts des déséquilibres sur l’emploi en France

Plusieurs facteurs expliquent la persistance de ces tensions. D’abord, un déficit structurel de main-d’œuvre. Nombre de métiers artisanaux ou industriels souffrent d’un manque d’attractivité lié à des conditions de travail exigeantes, à une reconnaissance sociale limitée et, souvent, à une rémunération jugée insuffisante⁷. Les jeunes générations manifestent des attentes accrues en matière de qualité de vie au travail, de flexibilité et de sens accordé aux activités exercées.

Ensuite, une inadaptation territoriale. Les zones géographiques où les besoins sont les plus forts ne correspondent pas toujours aux bassins de main-d’œuvre disponibles. L’Île-de-France concentre ainsi plus de 1,7 million d’emplois en tension, soit près d’un tiers de l’emploi régional⁸. Les coûts et les temps de transport freinent les mobilités, accentuant les difficulties des entreprises locales.

Enfin, des transformations économiques rapides compliquent l’ajustement. La transition énergétique crée de nouveaux besoins (isolation, construction bois, réparation de cycles), tandis que la numérisation modifie les compétences requises dans la maintenance, l’automobile ou les métiers de service. L’offre de formation initiale et continue peine à suivre, malgré des dispositifs renforcés de reconversion et d’apprentissage⁹.

Conséquences économiques et sociales

Ces tensions produisent des effets multiples. Elles rallongent les délais de recrutement et limitent parfois l’activité des entreprises, qui doivent arbitrer entre retards, surcoûts et réduction de leur offre. Elles accentuent également les inégalités territoriales, certains services de proximité étant fragilisés par le manque de personnel.

Elles contribuent aussi à modifier les équilibres salariaux. Dans plusieurs branches, la rareté de la main-d’œuvre entraîne des revalorisations ou l’octroi de primes pour attirer les candidats. Ces ajustements, s’ils améliorent l’attractivité, peuvent aussi générer des tensions inflationnistes. Enfin, la multiplication des recrutements contraints ou partiellement qualifiés accroît le risque de précarisation, en particulier pour les jeunes et les reconvertis.

Perspectives et leviers d’action

Face à ce diagnostic, plusieurs pistes apparaissent.

  • L’adaptation des parcours de formation aux besoins du marché demeure un levier essentiel : renforcement de l’alternance, développement de modules de reconversion plus souples, et meilleure articulation entre formation initiale et continue.
  • L’amélioration des conditions de travail constitue une priorité pour redonner attractivité aux métiers en tension. Elle passe par la revalorisation salariale, mais aussi par des efforts sur l’organisation, la sécurité et les perspectives de carrière.
  • La dimension territoriale doit être davantage intégrée. Les politiques publiques gagneraient à cibler les bassins les plus affectés, en développant des infrastructures de transport, des aides à la mobilité ou des formations locales.
  • Enfin, la coordination entre acteurs publics et privés apparaît décisive. La mise en commun de données fiables, la concertation entre entreprises, collectivités et organismes de formation, ainsi qu’une anticipation partagée des besoins, conditionnent l’efficacité des politiques de l’emploi.

Les tensions actuelles du marché du travail français constituent à la fois un défi et une opportunité. Défi, car elles mettent en lumière les fragilités d’un système où l’offre et la demande peinent à se rencontrer, au détriment de la compétitivité des entreprises et de la cohésion sociale. Opportunité, car elles ouvrent la voie à une revalorisation de métiers essentiels, à une réflexion approfondie sur l’organisation du travail et à une meilleure reconnaissance des compétences. Pour la recherche en sciences de gestion, ces mutations offrent un terrain privilégié d’observation et d’analyse, où se jouent les équilibres futurs du travail et de l’emploi.

Philippe Naszályi



Notes

1. Baromètre ISM-MAAF, Les chiffres 2025 de l’emploi dans l’artisanat en France, communiqué du 4 septembre 2025.

2. INSEE, « Marché du travail : tensions sur le recrutement en Île-de-France », Insee Analyses Île-de-France, n° 164, 2023.

3. DARES, « Les tensions sur le marché du travail en 2023 », Dares Résultats, n° 54, juin 2024.

4. Baromètre ISM-MAAF, op. cit.

5. Ibid.

6. Ibid.

7. France Stratégie, Métiers 2030 : quelles perspectives pour l’emploi en France ?, Rapport, 2022.

8. INSEE, op. cit.

9. France Stratégie, op. cit.

2 jours fériés en moins… pour quoi faire ?

Dans son plan budgétaire pour 2026, présenté le 15 juillet 2025, François Bayrou a annoncé la suppression de deux jours fériés, le lundi de Pâques et le 8 mai, sous prétexte de « solidarité nationale » et de contribution au redressement des finances publiques. Une idée qui ressurgit presque vingt ans après la fameuse « journée de solidarité » de 2004… et dont la vacuité économique et sociale n’a pourtant pas changé. Dans un billet publié il y a quelques jours sur larsg.fr et intitulé “François Bayrou à Matignon : le Magnificat perverti, le souvenir du Gosplan… et les sépulcres blanchis“, nous nous étions déjà permis de railler cette obsession comptable qui consiste à faire porter la charge toujours sur les mêmes. Revenons-y, plus sérieusement.

Travailler plus… mais qui ?

Les chiffres sont clairs : les salariés français travaillent déjà largement autant que leurs homologues européens. En 2023, la durée annuelle moyenne d’un salarié à temps plein était de 1 669 heures, contre 1 638 heures en Allemagne et 1 582 heures aux Pays-Bas¹. Le problème français, ce n’est donc pas la durée du travail de ceux qui travaillent… c’est le nombre de ceux qui ne travaillent pas.

Le taux d’emploi des 15-64 ans était de 67,5 % en France en 2024, contre 77 % en Allemagne et 82 % aux Pays-Bas². Plus inquiétant encore : seulement 35,2 % des jeunes (15–24 ans) sont en emploi en France, contre 48 % en Allemagne et 74 % aux Pays-Bas³. Chez les seniors (60–64 ans), même constat : la France plafonne à 36 %, tandis que l’Allemagne atteint 61 % et la Suède 69 %⁴.

L’OCDE le résumait déjà dans son rapport annuel : « La priorité pour la France est d’élargir la base active plutôt que de ponctionner ceux qui travaillent déjà. »⁵

Autrement dit, le problème est structurel. Et ce n’est pas en rognant encore un peu plus les jours de repos de ceux qui travaillent que l’on règlera la question.

Éric Coquerel (LFI) pose une question à Amelie de Montchalin (Ministre chargée des Comptes publics) concernant les 2 jours fériés en moins

Une goutte d’eau budgétaire

Sur le plan budgétaire, la suppression de deux jours fériés rapporterait, selon le gouvernement, environ 4,2 milliards d’euros⁶. Une somme non négligeable pour le commun des mortels, mais dérisoire comparée aux 330 milliards annuels consacrés aux retraites et aux 50 milliards attendus pour la dépendance d’ici 2030. Et Rexecode évalue l’impact macroéconomique à seulement 0,1-0,2 % de PIB supplémentaire par an, bien loin de ce qui serait nécessaire pour résorber durablement nos déficits⁷.

Punir plutôt qu’inclure

Ce choix illustre surtout une certaine paresse intellectuelle par des gens qui invitent les autres au courage ! Il est plus facile, politiquement, d’exiger un effort supplémentaire de ceux qui travaillent déjà que d’affronter les vraies difficultés : chômage structurel, précarité, formation continue insuffisante, exclusion des seniors. France Stratégie qui n’est pas une officine gauchiste, notait dès 2023 : « Ces solutions à court terme usent les salariés en emploi sans élargir la base contributive. »⁸

Alors que des marges existent : insertion des jeunes via l’apprentissage (que l’actuel gouvernement déstructure et rabote), maintien des seniors dans l’emploi, inclusion des publics éloignés. Mais cela demande du temps, du courage, de l’imagination et finalement de l’intelligence. Toutes ces qualités dont cette proposition Bayrou est tristement dépourvue.

Une très vieille rengaine

Le plus désolant, sans doute, est que François Bayrou en soit encore là, en juillet 2025, après avoir déjà brandi cette idée en 2023… et que la « journée de solidarité » de 2004 ait déjà prouvé son impopularité et ses effets limités⁹. Dans son discours de présentation du budget, François Bayrou déclarait : « Il faut réconcilier la France avec le travail ; supprimer deux jours fériés, c’est la démonstration concrète de solidarité nationale. »¹⁰

C’est surtout une démonstration d’immobilisme et de méconnaissance des réalités économiques. Comme le rappelait Keynes en 1931 : « Il est plus facile d’appeler à l’effort ceux qui sont déjà en mouvement que d’aider ceux qui sont immobiles. »¹¹

Et comme nous le soulignions avec humour sur larsg.fr la semaine dernière, persister dans cette voie, vingt ans après la première journée de solidarité, ne relève plus de la réforme, mais de l’acharnement thérapeutique… (n’en déplaise à Philippe Juvin !) à l’encontre des salariés.

Dans son discours radiodiffusé du 11 octobre 1940, quelques mois après avoir pris la tête de l’État français, le maréchal Pétain exhortait les Français à accepter l’ordre nouveau et déclarait : « Les Français doivent se remettre au travail, non seulement pour produire, mais pour se redresser moralement. »¹²

Cette phrase, dans la bouche du vieux maréchal, servait à imposer une discipline collective et une soumission sociale sous couvert de « redressement ». Elle resurgit étrangement aujourd’hui, tant la logique sous-jacente de la proposition Bayrou, moralisme comptable et immobilisme politique, semble lui faire écho.

Discours Pétain Un nouveau régime ordre nouveau et Révolution nationale
Discours du Maréchal Pétain (Un nouveau régime : ordre nouveau et Révolution nationale).

  1. Insee, Durée effective annuelle du travail en 2023, 2024, insee.fr.
  2. Eurostat, Employment rate (15–64), avril 2024, ec.europa.eu.
  3. Eurostat, Youth employment rate (15–24), avril 2024, ec.europa.eu.
  4. OCDE, Employment rate of older workers (60–64), 2024, oecd.org.
  5. OCDE, Perspectives de l’emploi 2025, chapitre 5, « Travailler plus ou travailler plus nombreux ? », oecd.org.
  6. Le Monde, « Suppression de deux jours fériés, année blanche, gel des dépenses… », 15/07/2025, lemonde.fr.
  7. Rexecode, Impact économique de la suppression d’un jour férié, note de décembre 2023, rexecode.fr.
  8. France Stratégie, Mobiliser le travail en France, rapport 2023, francestrategie.gouv.fr.
  9. Les Échos, « La journée de solidarité a rapporté 2,3 milliards en 2022 », 17/05/2023.
  10. Discours de présentation du budget 2026, François Bayrou, 15 juillet 2025.
  11. John M. Keynes, Essais de persuasion, 1931.
  12. Philippe Pétain, discours radiodiffusé à Vichy, 11 octobre 1940, dans Documents sur la politique intérieure de la France, 1940–1944, Paris, Imprimerie nationale, 1946, p. 23.

Encyclopédie des communautés et des pratiques communautaires

(Presses universitaires Paris-Saclay — Label Maturation MSH Paris-Saclay)
Appel à contributions
Jusqu’au 15 septembre 2025

Le projet

L’Encyclopédie des communautés et des pratiques communautaires a pour ambition de participer à une meilleure compréhension des manifestations de la créativité sociale passées et présentes des individus pour s’organiser collectivement dans un objectif général d’émancipation des individus et des groupes.

La communauté, telle que nous la définissons, est constituée d’un groupe de personnes qui partagent un but, un intérêt ou un bien commun et qui établissent des relations sociales privilégiées entre elles. Ces communautés imaginent des règles pour réaliser le but fixé, défendre l’intérêt protégé, gérer et conserver un bien commun.

L’Encyclopédie des communautés et des pratiques communautaires a vocation à rassembler des contributions qui viennent soit de l’expérience pratique, soit de réflexions théoriques, dès lors qu’elles aident à mieux comprendre les communautés telles que nous les avons définies. La méthode retenue permet un dialogue entre approche empirique et approche théorique qui s’enrichissent chacune au contact de l’autre.

Le choix de la forme encyclopédique est motivé par le souhait d’offrir un ouvrage scientifique de référence, pluridisciplinaire, en accès libre et en constante évolution. Le projet de l’Encyclopédie des communautés et des pratiques communautaires est né en 2018 et a fait l’objet de colloques et de publications intermédiaires. Il nous est apparu comme une évidence que l’encyclopédie soit en accès libre, qu’elle puisse s’enrichir au fil de l’eau, qu’elle soit animée par un collectif et enfin, qu’elle fasse communauté.

Soutenue par la MSH Paris-Saclay depuis ses débuts, l’Encyclopédie des communautés et des pratiques communautaires est un des projets pilotes de la plateforme éditoriale de publication en science ouverte des presses universitaires de l’Université Paris-Saclay (modèle diamant) qui sera disponible à compter de janvier 2026.

En 2025 des extraits choisis de l’encyclopédie ont été publiés en édition diamant (Encyclopédie des communautés et pratiques communautaires : extraits choisis, M. Clément-Fontaine et G. Gidrol-Mistral [dir.] et al., Université Paris-Saclay, 2025, 978-2-9597054-0-3.10.52983/JAQH5207, hal-04893685).

Les contributions sont publiées sous une licence permettant la reproduction libre (et gratuite) sans modification, sous réserve de mention du nom des auteurs et autrices.

Des suggestions de questions auxquelles répondre

Thème 1 : Les critères des communautés

  • 1) Un intérêt communautaire : la communauté met en œuvre un intérêt supérieur aux intérêts individuels de ses membres et à la somme des intérêts individuels. L’intérêt communautaire précède-t-il la communauté qui se met en place dans le but de le protéger ou est-ce la communauté qui fait émerger l’intérêt communautaire ? Existe-t-il une gradation de l’intérêt communautaire (plural, collectif, public, commun, général) ?
    Les exemples des fiducies d’utilité sociale (Québec), des fondations (France) ou des Charitable Trust (Canada — Angleterre), mais aussi les expériences qui ne s’appuient pas forcément sur une structure légale ou qui trouvent leurs sources dans d’autres traditions juridiques permettront d’illustrer ces enjeux.
  • 2) Un territoire commun : la communauté s’établit-elle nécessairement sur un territoire délimité qui l’accueille, que cet espace soit foncier ou immatériel (plate-forme numérique) ? Les exemples de l’environnement ou du savoir témoignent de cet éclatement à travers la notion d’écosystème ou de biens communs de la connaissance.
  • 3) Une mise en commun : la communauté se caractérise par une mise en jouissance commune. Ce partage de jouissance interroge également la fluidité des entrées et des sorties dans la communauté. Le type de communauté (fermées ou poreuses, exclusives ou inclusives) comme la nature des biens communs (matériels et rivaux, immatériels et non rivaux) ont-ils un impact sur la jouissance commune ? Les cohabitats ou les productions intellectuelles collaboratives soulèvent ce type de questionnement.

Thème 2 : Les formes communautaires

La notion de communauté est rétive à s’inscrire dans une seule forme connue. Il n’existe pas un cadre d’organisation de la communauté, mais une pluralité de modèles, certains inscrits dans le droit, d’autres non. Quel rapport les communautés entretiennent avec des formes et concepts connus ? On peut penser à la personnalité morale ou aux formes historiques, tels les communautés villageoises du Moyen-Âge, le compagnonnage à travers les siècles, l’associationisme, le mutualisme, le coopérativisme ou encore le syndicalisme. Proposent-elles des modèles qu’il serait judicieux de formaliser ?

Thème 3 : L’organisation communautaire

  • 1) La genèse d’une communauté : la communauté repose nécessairement sur une démarche privée qui peut coexister, voire concurrencer, les organisations publiques.
    Quelle est la force de la volonté initiatrice ? Quelles places respectives des personnes privées et des personnes publiques ? Quelles sont les interactions de la communauté avec l’extérieur (les autres organisations, publiques ou privées notamment) ?
  • 2) Les règles de fonctionnement : les communautés développent des règles de fonctionnement qui mettent en place des pratiques communautaires. Ces règles ad hoc servent la poursuite de l’intérêt communautaire. À force de répétition, ces usages ontils un effet obligatoire ? Créent-ils des règles normatives au-delà de la communauté ?
    Comment ces règles sont formalisées, et si elles le sont, quels mécanismes sont mis en place pour les faire respecter ? Enfin, ces règles et mécanismes sont-ils source de droit ?

Thème 4 : Les communautés : humains, choses et autres entités

La communauté est-elle une forme d’organisation exclusivement humaine ou peut-elle inclure d’autres entités ?

Comité éditorial

– Mélanie Clément-Fontaine, Professeure de droit privé, Université Paris-Saclay, UVSQ, DANTE
– Gaële Gidrol-Mistral, Professeuse de droit privé, Université du Québec à Montréal, GRDP.

Comité scientifique

Mélanie Clément-Fontaine, Gaële Gidrol-Mistral, David Hiez (Professeur de droit privé à l’université du Luxembourg), Nicolas Jullien (Professeur d’économie, IMT Atlantique), Liliana Mitkova (Professeure de gestion, Université de Paris-Saclay, Ivry), Garance Navarro Ugé (Docteure en droit public, UP1/EHESS), Pierre-Yves Verkindt (Professeur de droit privé émérite, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne).

Informations pratiques : comment contribuer

Conditions éditoriales

Chaque proposition de contribution fait l’objet d’une évaluation par le comité éditorial pour juger de son adéquation avec l’objet de l’encyclopédie.

Les propositions complètement rédigées sont évaluées par le comité scientifique ; ce comité scientifique pourra s’appuyer sur des évaluateurs extérieurs pour ce faire.

Modalités de soumission

Une première série de notices a été écrite et est disponible ici : https://hal.science/hal-04893685v1

Calendrier pour la publication de janvier 2026

– Envoi des propositions de contribution (thème et résumé de 3000 signes maximum) avant le 15 septembre à l’adresse suivante : encyclopedie_pratiques_communautaires_ceedi@groupes.renater.fr ;
– Envoi des contributions avant le 3 novembre ;
– Dernière lecture avant le 10 décembre ;
– Publication des nouvelles notices en janvier 2026.

Nature des contributions

– Un thème unique par contribution
– Contenu scientifique et ton libre : l’auteur ou l’autrice est invitée à faire état d’une pensée originale avec en introduction un état de la littérature et des principales thèses en présence. La consigne est inapplicable au récit d’expérience.
– Langue : la contribution peut être faite en français, espagnol ou anglais ; l’ambition est de publier tous les travaux dans les trois langues.
– Longueur : 20 000 à 30 000 signes.
– Les contributions devront être accompagnées de :

• Un résumé synthétique de 1000 signes maximum présentant l’idée maîtresse et son articulation avec l’ensemble de l’encyclopédie (le résumé pourra être revu par le comité éditorial)

• Une liste de 3 à 5 mots-clés qui seront utilisés pour naviguer dans les thèmes de l’encyclopédie et entre les contributions.

• Bibliographie des références utilisées dans le texte.

• Éventuellement une liste de 3 à 5 références pour permettre au lecteur ou à la lectrice d’aller plus loin sur le thème de la contribution (notamment vos écrits à l’origine de la contribution).

  • Les auteurs et autrices sont invitées à lier leur contribution aux autres contributions.
  • Les contributions devront absolument respecter les règles de formatage de l’encyclopédie (voir ci-après).

Règles de formatage

– Les contributions devront utiliser une feuille de style (les titres au format titre, etc.)
– Les références sont présentées en respectant les principes et le style UQAMAPA : nom d’auteur et d’autrice, année dans le texte, référence complète en fin de document. Voir les consignes détaillées ici : https://style-apa.uqam.ca/ en français, et ici : https://uqam-bib.on.worldcat.org/oclc/1124961103 en anglais.

Contact

encyclopedie_pratiques_communautaires_ceedi@groupes.renater.fr

François Bayrou à Matignon : le Magnificat perverti, le souvenir du Gosplan… et les sépulcres blanchis

François Bayrou, catholique pratiquant, parvenu (enfin, pour lui) à Matignon, a présenté hier son grand « Plan pour la soutenabilité des finances publiques et la relance productive » (titre officiel annoncé en conférence de presse, 15 juillet 2025).

François Bayrou n’est-il plus à une contradiction près ?

Dans un élan volontariste, François Bayrou exhorte la France à « produire plus » et à « retrouver une capacité productive », tout en prévenant qu’il serait dangereux de taxer davantage les plus riches. Une contradiction qui ne semble guère troubler cet homme de foi affichée, lui qui a pourtant largement contribué à porter Emmanuel Macron au pouvoir, celui qui a bradé les fleurons industriels français avec une légèreté sans précédent (cf. Le Monde, 2022, sur les cessions d’Alstom, Technip, Lafarge, etc.).

Comment ne pas songer au drame d’Olivier Marleix, député et ancien président de la commission d’enquête sur la vente d’Alstom, qui en fit le récit dans Ce que je ne pouvais pas dire, avant de se donner la mort en juillet dernier, broyé par cette même logique qu’on continue aujourd’hui de travestir en vertu ?

François Bayrou est-il toujours au Plan ?

On dirait que son passé de Haut-commissaire au Plan colle à la peau de François Bayrou. À force de parler de « production », le voilà qui ranime des souvenirs soviétiques : produire plus, mais produire quoi  ? Pour qui  ? On repense à ces aberrations du Gosplan, où la logique du chiffre étouffait celle du bon sens : des clous si gros qu’ils en devenaient inutilisables, des millions de chaussures toutes en taille 42, des lampes fragiles qui éclataient au moindre choc… Des quotas respectés, des besoins trahis.

François Bayrou serait-il toujours de bonne foi ?

Et l’on sourit (jaune) ou l’on s’indigne en voyant l’homme de foi pervertir ainsi le Magnificat de Marie, qui proclame dans l’Évangile : « Il a comblé de biens les affamés, et renvoyé les riches les mains vides » (Luc 1, 53).

François Bayrou lui travestit le texte sans vergogne : « Il comble de biens les riches, et renvoie les affamés les mains vides. »

On aimerait lui rappeler qu’on ne gouverne pas pour satisfaire des chiffres, mais pour répondre à des vies ; et que la production, comme le sabbat, a été faite pour l’homme, et non l’homme pour la production (Marc 2, 27).

En définitive, cet homme qui cite volontiers les Évangiles ressemble à ces sépulcres blanchis dénoncés par Jésus : une façade immaculée et pieuse, mais derrière, le calcul politique, l’hypocrisie et l’injustice continuent d’enterrer les plus faibles sous une chape de chiffres et d’apparences (cf. Matthieu 23, 27).

Délais de paiement : l’État satisfait… l’Observatoire observe et un rapport de plus !

C’est un rituel bien huilé depuis bientôt vingt ans : chaque année, l’Observatoire des délais de paiement (1) remet son rapport annuel au gouvernement. Cette instance, créée à l’initiative de Thierry Breton, alors ministre de l’Économie de Jacques Chirac et incarnation assumée de la technocratie française, publie inlassablement ses constats, salués par le ministre du moment. Cette année, le rapport a été accompagné d’un communiqué de presse du ministère de l’Économie et des Finances, signé par la ministre déléguée Véronique Louwagie, chargée du Commerce, de l’Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises et de l’Économie sociale et solidaire, saluant les progrès et promettant de sanctionner les retardataires… à condition qu’ils ne soient pas publics.

L’État est-il si exemplaire ?

La lecture du rapport 2024 révèle un exercice d’équilibriste. Officiellement, l’État est « exemplaire », avec un délai moyen de 14,2 jours pour régler ses fournisseurs en métropole. « Près de 9 paiements sur 10 en moins de 30 jours », clame fièrement le communiqué. Sur le papier, la France devance même la moyenne européenne.

Mais cette autosatisfaction mérite nuance. D’abord parce que la situation se dégrade légèrement depuis deux ans (13,6 jours en 2022), traduisant une lente érosion de la discipline de paiement. Ensuite parce que la performance moyenne masque des écarts abyssaux : le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères brille avec 7 jours, mais la Justice flirte avec 40 jours, mais certains établissements publics hospitaliers atteignent 121 jours en Outre-mer. La République sans cesse invoquée est bien loin d’être égale pour tous ! Enfin, parce qu’un quart des ministères ne parviennent pas à tenir les délais réglementaires de 30 jours pour toutes leurs dépenses.

Ces écarts révèlent une administration à deux vitesses : celle qui a numérisé ses circuits, et celle qui peine encore à dématérialiser ses factures ou à mettre fin à ses « réseaux » d’ordonnateurs éclatés. Mais plutôt que de sanctionner ses propres lenteurs, l’État préfère parler de « contrôle pédagogique » et publier en open data les résultats des collectivités locales… histoire d’inviter les Français à se faire une opinion.

À l’heure où l’on traque la moindre économie budgétaire et où l’on pousse les hôpitaux et les collectivités à « rationaliser leurs dépenses », on reste frappé par la tolérance dont bénéficie la République envers elle-même. La morale de la fable : quand l’État se juge, il s’accorde facilement le satisfecit.

L’Observatoire des délais de paiement en question

L’Observatoire des délais de paiement a pour mission de mesurer, d’analyser et de commenter les pratiques de paiement en France, dans le secteur public comme privé. Il ne dispose d’aucun pouvoir contraignant, mais formule des recommandations annuelles sur la base des données collectées par ses membres. Il est composé d’environ 80 représentants de 35 institutions publiques et privées, sous la présidence de Virginie Beaumeunier, directrice générale des entreprises au ministère de l’Économie.

Ses membres incluent la Direction générale des entreprises (DGE), la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la Banque de France, ainsi que des représentants des organisations patronales, syndicats, chambres consulaires et experts.

Son budget se voudrait un modèle d’efficience bureaucratique : sans avoir de budget propre, il mobilise tout de même plusieurs dizaines d’agents publics et statisticiens de ces administrations pour un coût estimé d’au moins un million d’euros par an (2). Une somme modeste dans l’absolu… mais pas si anodine à l’heure où l’on prône la sobriété budgétaire et où le rapport annuel passe largement inaperçu du grand public.

La République dépense un million d’euros par an pour expliquer pourquoi elle ne paie pas dans les délais

En clair : la République dépense volontiers un million d’euros par an pour s’autoévaluer et publier des rapports expliquant pourquoi elle ne paie pas toujours ses factures dans les délais. Ironie de la situation : ces mêmes rapports dénoncent des pratiques de retard inacceptables chez les entreprises privées, assorties de la menace d’amendes pouvant atteindre 1 % du chiffre d’affaires mondial… tout en concluant que la sphère publique, elle, reste « dans les clous réglementaires ». La pédagogie vaut visiblement mieux que la sanction quand c’est l’État qui se juge.

Alors, à quoi ça sert ? À justifier l’existence de l’Observatoire des délais de paiement, sans doute. Et à rappeler que, dans la République, on est toujours mieux payé pour observer que pour agir. Un “machin” (de plus) comme l’aurait peut-être dit le Général !


(1) Observatoire des délais de paiement, créé par le décret n° 2006-188 du 17 février 2006, sous le gouvernement Dominique de Villepin (Journal officiel du 19 février 2006).

(2) Estimation calculée sur un coût direct de fonctionnement autour de 400 000 €, auquel s’ajoutent les traitements de plusieurs dizaines d’agents de catégorie A mobilisés à temps partiel ou complet sur les travaux de l’Observatoire (salaires moyens de 3 193 € nets mensuels), et les coûts annexes logistiques et de publication.

Première page du communiqué
communiqué 11 juillet retards de paiement

n°333 – Le travail, c’est la santé… vraiment ?

« Le travail, c’est la santé… rien faire, c’est la conserver », chantait Henri Salvador avec l’humour du paradoxe. C’était en 1965. Cette même année, naissait la revue Direction et Gestion des Entreprises, devenue depuis La Revue des Sciences de Gestion. Soixante ans plus tard, le refrain résonne encore, dans un monde où le travail est à la fois revendiqué, transformé, désacralisé… et souvent pathogène.

https://doi.org/10.3917/rsg.333.0001

Nous avons choisi de faire de ce titre de chanson le point de départ de notre numéro 333, deuxième numéro de notre soixantenaire, à la tonalité volontairement libre, critique et inspirée. Car dans « 333 », on entend aussi ce fameux « 33 » qu’on disait chez le docteur !

333 avant notre ère, c’est aussi Alexandre le Grand qui bat Darius III à Issos, ouvrant la voie à la conquête de l’Orient. Ce numéro n’a pas cette ambition, mais se veut à sa manière un point d’inflexion – qui raisonne et résonne – une invitation à regarder autrement nos certitudes, nos normes… et nos pratiques.

Fidèle à sa tradition d’ouverture à la réflexion, et quelle réflexion : voir ce que la finance ne montre pas, La Revue des Sciences de Gestion s’ouvre par une tribune libre de Jean-Jacques Pluchart, qui présente « Les invisibles de l’emprise de la finance ». Il y évoque l’un des paradoxes les plus puissants du capitalisme contemporain : sa visibilité hégémonique et son invisibilité concrète. À la manière du mythe de la caverne de Platon, l’auteur nous entraîne à la découverte de la « banque de l’ombre », des réseaux de blanchiment, des flux spéculatifs hors radar et de ces puissances anonymes qui structurent les marchés sans visage.

De là découle un court dossier : approches pluriculturelles en finance, qui aborde la finance plurielle, entre normes et cultures des sociétés foncières européennes aux microcrédits africains. Charlotte Disle et Rémi Janin (Université Grenoble-Alpes) analysent l’usage du résultat EPRA comme indicateur alternatif de performance dans le contexte des normes IFRS, révélant à la fois ses apports et ses limites pour les sociétés foncières européennes. En écho, Pascal Bougssere, Mamadou Toé et Wend-Kuûni Raïssa Yerbanga étudient les perceptions croisées du microcrédit au Burkina Faso, à travers les rapports entre institutions de financement et performance réelle des micro-entreprises. Ces contributions montrent combien la finance reste un construit culturel, façonné par les normes, les institutions… et les perceptions qui sont importantes en santé mentale.

Sans transition, soigner autrement : démocratie, numérique et management de la santé sont autant de pistes pour la gestion de la santé dans tous les continents. Xavier Moinier et Liliane Bonnal montrent comment la e-santé peut accroître le pouvoir d’agir du patient, dans une logique de démocratie sanitaire active. Une contribution de Kaouther Ben-Jemaa-Boubaya (EDC-Paris) et Boutheina Zouabi-Ouadrani (La Réunion) analyse l’impact de l’agilité organisationnelle sur le stress professionnel des cadres de santé français, en contexte post-Covid. Du côté de Bamako, l’étude sur les médicaments traditionnels informels interroge le rôle ambivalent des réseaux sociaux numériques dans la circulation des produits de santé.

Enfin, Nabil Ouarsafi et Elmaati Errachiq explorent les obstacles organisationnels au Lean healthcare dans les établissements sanitaires du Maroc, confrontant modèle importé et culture hospitalière.

Là encore, le monde entier est concerné, et pas ce petit bout étriqué qui n’a que l’Outre-Atlantique comme horizon ultime !

Ces travaux s’inscrivent aussi dans notre partenariat durable avec la Chaire de gestion des services de santé du CNAM, dirigée par le Professeur Sandra Bertezene, partenaire indispensable de La RSG pour la troisième année dans nos colloques sur la démocratie en santé.

L’idée de la santé et de son lien avec la gestion n’est plus une vue de l’esprit. Déjà dans le numéro précédent, j’amorçais la réflexion sur le fait que le manager est aujourd’hui un acteur-clé de la santé mentale au travail[1], souvent plus influent que les soignants eux-mêmes. J’y relevais le paradoxe que le gestionnaire, si décisif dans le quotidien des entreprises, est pourtant absent des débats publics. Il ne s’agissait pas de défendre une discipline, mais de rappeler que la gestion, ou le management, mérite toute sa place dès qu’il est question d’organisation humaine.

Cela résonne d’autant plus aujourd’hui, au moment où le Gouvernement confie à Teddy Riner, triple champion olympique de judo, l’un des sportifs les plus titrés et les plus populaires de France, le parrainage de la Grande Cause nationale 2025 : la santé mentale. Un choix symbolique qui honore l’effort et la performance, mais qui doit aussi s’accompagner d’une réflexion sérieuse sur les causes structurelles du mal-être, notamment dans le travail. Le management n’est pas un simple outil de gestion du quotidien : il est aussi, souvent, un déterminant de santé.

Le constat est accablant : en France, selon les données de l’Assurance Maladie, plus de six cent mille accidents du travail sont déclarés chaque année, et près de cinquante mille maladies professionnelles reconnues. Le secteur de la construction, de la logistique, mais aussi celui de la santé et de l’aide à la personne figurent parmi les plus touchés. Le travail ne préserve pas la santé : il l’altère trop souvent.

Toutefois, il convient de ne pas oublier que le travail peut aussi être facteur d’insertion, notamment pour les personnes en situation de handicap. Ainsi, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) permettent à des milliers de travailleurs handicapés d’accéder à une activité professionnelle adaptée, source de reconnaissance, de lien social et d’équilibre personnel. Mais il y a ici une condition qui l’emporte sur toute autre considération, que l’on n’oublie pas, comme le fait pourtant la dangereuse réforme gouvernementale des ESAT, initiée par la calamiteuse Sophie Cluzel que le travail doit y aussi et surtout ici, ne pas jeter aux orties, l’aspect médico-social[2].

C’est une piètre justification pour s’exonérer de l’absence d’anticipation dans la formation des personnels de santé qui manquent cruellement. Dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), notamment les ESAT, les difficultés de recrutement sont nettes : le taux de vacance atteint 2,3% aujourd’hui, et près de 4% en moyenne dans l’ensemble des structures médicosociales[3]. Malgré leur vocation inclusive, ces établissements peinent à pourvoir des postes clés. L’absentéisme, lui, a crû durant la crise sanitaire (11,5 →13% en 2020), témoignant des pressions croissantes sur les personnels. Ce défaut de dotation, que les ESAT partagent avec les services multi-clientèle, inquiète : il fragilise leur mission d’insertion professionnelle et sociale. »

C’est aussi oublier, excusez du peu, que 80 % des handicaps sont « invisibles », psychiques ou cognitifs, non détectables à l’œil nu[4]. Le mythe du travail en milieu ordinaire pour tous est un crime contre la vérité, les faits et l’intelligence.

Le sens du travail ne se résume donc pas à sa pénibilité ou à ses risques, mais se construit aussi dans la capacité à inclure et à valoriser chacun selon ses possibilités.

Et le Covid-19, loin de réduire les risques, les a déplacés. Le télétravail, devenu très souvent une forme banale d’organisation, entraîne des risques nouveaux : isolement, effacement des limites entre vie professionnelle et personnelle, troubles musculosquelettiques, et surtout fatigue psychique accrue. Travailler chez soi n’est pas toujours plus sûr. C’est aussi un mode de stress invisible.

C’est pour inclure toutes ces réflexions que se tiendra sommet francophone du management que La Revue des Sciences de Gestion à Marrakech, les 10, 11 et 12 décembre 2025, en partenariat avec les Rendez-Vous du Management, initiés par le Professeur Nabil Ouersafi à l’occasion de son soixantenaire. Ce colloque, à la fois pluridisciplinaire et ouvert à la diversité des approches et des terrains, portera sur le thème général du Travail, décliné autour de deux appels à communication[5] :

  • Travailler plus ? Travailler moins ? Ou travailler autrement ?
  • Pouvoir d’agir des usagers en Europe, en Amérique, en Afrique… : Partager les savoirs pour une plus grande démocratie en santé : Travailler autrement.

Alors oui, « Le travail, c’est la santé », mais à condition qu’on cesse d’en faire une incantation vide. À condition qu’on réinterroge les formes, les finalités, les rythmes, les rapports sociaux. À condition que le travail ne soit plus ce qu’il empêche, mais ce qu’il permet.

Comme le rappelait déjà l’Organisation Internationale du Travail en 2019, plus de 2,7 millions de personnes meurent chaque année d’un accident ou d’une maladie liée au travail, et quelque 374 millions d’accidents non mortels sont signalés.

En France, malgré les dispositifs de prévention, les chiffres restent préoccupants. C’est donc à une mobilisation scientifique, managériale et sociale que ce numéro appelle.

Dans cet esprit, nous renouvelons l’engagement de La Revue des Sciences de Gestion depuis 60 ans : analyser, critiquer, transmettre.

Et, si l’on devait encore ausculter le monde de la gestion… alors oui, comme chez le docteur, disons 33. C’est justement ce que proposait l’illustre René Laennec, professeur à la Faculté de médecine de Paris, en 1816. Inventeur du stéthoscope, il introduisit cette forme d’écoute directe des sons du corps, l’auscultation, en demandant à ses patients de prononcer le nombre « 33 », dont les vibrations thoraciques facilitaient l’examen des poumons. À l’époque, le stéthoscope n’était qu’un simple cylindre de bois, mais son innovation ouvrait la voie à une médecine plus rigoureuse, fondée sur l’observation et l’écoute plutôt que sur la seule spéculation intuitive. Tout ce qui est aussi notre finalité.

Sachons aussi que dans les pays anglophones, le médecin disait « ninety-nine ». Comme quoi, la santé-comme la gestion a toujours parlé plusieurs langues.

C’est cette richesse pluriculturelle, loin des modèles figés, que nous défendons depuis 60 ans à La RSG !


1. https://larsg.fr/la-revue-des-sciences-de-gestion/n331-332-le-manageur-lhomme-clef-de-la-sante-mentale/

2. Dispositions des décrets des 13 et 22/12/2022. Mesures annoncées par le Président de la République lors de la Conférence Nationale du Handicap du 26/04/2022. Déploiement de la Loi Plein Emploi : inscription dans la loi de finance 2025

3. Entre 2017 et 2023, le taux de vacance moyen dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS) a quasiment doublé, passant de 2,1 % à 4,5 %. Dans les ESAT, ce taux est plus faible qu’ailleurs, autour de 2,3 % en 2023, contre 6,9 % dans les MAS pour adultes handicapés, source cnsa.fr. Le secteur des services multiclientèle (SAAD, SSIAD…) affichait des vacants jusqu’à 7,7 %, sensibilisant aux difficultés de recrutement dans le medico‑social. Source Repères statistiques, n°24 Avril 2025 “Absentéisme, vacance et rotation dans les établissements et services médico-sociaux” par Myriam Lévy (Direction de la prospective et des études) CNSA.fr et Le Média social, 23 avril 2025, “Dans les ESMS, l’absentéisme est revenu à son niveau d’avant-Covid”

4. Source : chiffres clés du Handicap, Ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, 14 avril 2025.

5. https://larsg.fr/sommet-francophone-du-management-double-appel-a-communication/

Fusion CEFDG–HCERES : simplification ou nouvelle bureaucratie à la soviétique, et pour quelles économies ? Une nouvelle étude de cas pour les gestionnaires

Le paysage de l’enseignement supérieur français pourrait connaître une mutation structurelle importante dans les prochaines années. Parmi les réformes envisagées figure le rapprochement – voire la fusion – entre deux instances centrales de l’évaluation : le Comité d’Évaluation des Formations de Gestion (CEFDG) et le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES). L’objectif affiché : rationaliser les procédures, alléger les charges administratives et optimiser les ressources publiques.

Le CEFDG sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur

Créé en 2001, le CEFDG est une commission placée sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur. Il est chargé d’instruire les demandes de visa ministériel et d’accréditation du grade de master pour les formations de gestion, en particulier celles portées par les écoles de commerce et les IAE. Son action est donc ciblée, mais hautement stratégique, car elle conditionne la reconnaissance publique de diplômes très recherchés.

Le HCERES

Le HCERES, lui, est une autorité administrative indépendante, héritière de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur-2007-2013), et évalue l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, des formations universitaires et des unités de recherche dans tous les champs disciplinaires. Son action s’inscrit dans un cycle régulier de revues quinquennales, avec des rapports publics et une méthode d’audit éprouvée.

Mais le mot indépendant, dès lors qu’il est accolé à des structures administratives désignées par l’État, mérite parfois d’être manié avec précaution. Ainsi que le notait ironiquement La Revue des Sciences de Gestion, « la République pense avoir trouvé la solution de l’indépendance » en multipliant les autorités administratives dites indépendantes, construites sur des schémas identiques et rarement sans lien avec les circuits de nomination. Une indépendance déclarée, sinon démontrée.

Des coûts séparés, un objectif commun d’efficacité

Même si leurs périmètres sont différents, CEFDG et HCERES peuvent être appelés à intervenir auprès des mêmes établissements, notamment lorsque les formations de gestion sont adossées à des composantes universitaires. Cette superposition engendre une redondance d’évaluations, perçue comme lourde et coûteuse par les institutions concernées.

Les deux instances mobilisent des moyens significatifs :

  • Le CEFDG, bien que relativement léger, fonctionne avec un budget estimé entre 1 et 2 millions d’euros par an, financé directement par le ministère. Il mobilise une équipe restreinte de 10 à 15 personnes, complétée par un réseau d’experts externes.
  • Le HCERES, plus structuré, dispose d’un budget avoisinant les 20 millions d’euros, dont une part significative est allouée aux missions d’évaluation. Il emploie environ 120 à 150 personnes, en plus de ses experts évaluateurs.

La fusion ou le rapprochement permettrait donc de réduire les coûts de fonctionnement, d’optimiser les expertises mobilisées et de clarifier le paysage de l’évaluation pour les établissements français et leurs partenaires internationaux. À condition que la simplification promise ne se transforme pas, comme souvent, en une superposition des lourdeurs antérieures.

Un tableau des compétences pour mieux comprendre

DomaineCEFDGHCERES
StatutCommission ministérielleAutorité administrative indépendante*
Champ disciplinaireGestion uniquementTous domaines
Objet principalAccréditation : visa, grade de masterÉvaluation qualité : établissements, formations, recherche
PériodicitéÀ la demande (visa/accréditation)Tous les 5 ans
Type de livrableDécision ministérielle (accréditation)Rapport public d’évaluation
MéthodologieGrilles CEFDG, approche professionnalisanteMéthodologie d’audit et autoévaluation
Visibilité internationaleSpécificité du grade de master françaisReconnaissance HCERES dans l’espace européen
Budget annuel~ 1 à 2 M€~ 20 M€
Effectif permanent10–15 agents120–150 agents

* Une indépendance d’autant plus solide qu’elle ne trouble pas l’ordre établi.

Des résistances mais un mouvement enclenché

Cette convergence est loin de faire l’unanimité. Les grandes écoles de commerce, fortement investies dans les procédures CEFDG, redoutent que leurs spécificités soient diluées dans un processus trop universitaire, moins attentif aux réalités du management ou aux attentes du monde professionnel.

De leur côté, les universités, souvent engagées dans une modernisation sous contrainte, affichent une position plus ambivalente. L’effet délétère de la loi de 2007 sur l’autonomie, loin d’avoir produit l’élan managérial espéré, a parfois laissé les établissements seuls face à leurs charges, sans les moyens réels d’une autonomie stratégique. Le transfert de compétences budgétaires et immobilières s’est souvent accompagné d’un alourdissement des procédures, d’une dépendance accrue aux financements précaires, et d’un recul de l’ambition universitaire au profit d’une gestion à vue.

Si certaines composantes, comme les IAE, ont su tisser des liens solides avec le monde économique, d’autres restent prisonnières de logiques internes contradictoires. Le développement de l’apprentissage, pourtant soutenu au niveau national, y rencontre des résistances idéologiques durables. Les relations avec les entreprises sont souvent perçues comme des compromissions, et une forme d’anticapitalisme culturel continue de structurer les discours dans plusieurs disciplines, au détriment de l’insertion professionnelle des étudiants.

Ce décalage se traduit par une fragilité croissante : locaux vétustes, taux d’encadrement faibles, désaffection croissante des jeunes chercheurs, et montée silencieuse de la défiance institutionnelle. Dans ce contexte, l’arrivée d’un acteur unifié de l’évaluation, s’il se contente d’harmoniser les exigences sans refonder les objectifs, pourrait accentuer les inégalités structurelles entre établissements. Le risque n’est plus seulement celui d’une complexité administrative accrue, mais celui d’un renforcement technocratique sur un socle universitaire déjà fragilisé.

Une réforme à construire… ou à déconstruire ?

Aujourd’hui, aucune décision officielle n’a encore été arrêtée, mais les pistes se précisent. Une fusion complète pourrait poser des questions de gouvernance, de statut juridique (faut-il vraiment intégrer le CEFDG dans une autorité administrative dite indépendante ?) et de continuité des missions. Une coordination renforcée, plus souple, fondée sur le partage des expertises et la convergence des grilles d’analyse, apparaît à ce stade comme une étape intermédiaire plus réaliste — et plus politiquement praticable.

Le défi est clair : il s’agit de moderniser l’évaluation de l’enseignement supérieur français, sans affaiblir ses points forts ni heurter les équilibres déjà précaires entre universités sous-dotées et grandes écoles sur-sollicitées. Mais la promesse de simplification, aussi ancienne que constante, pourrait bien se traduire — une fois encore — par la création d’une architecture administrative plus massive que fonctionnelle, alourdissant les procédures là où l’on prétend les alléger.

Reste cette question, à la fois triviale et redoutable : pour quelles économies ? Et surtout, pour quelle efficacité réelle ? La réforme, ce mot incantatoire devenu passe-partout, n’a-t-elle pas fini par perdre tout sens dès lors qu’il suffit de la prononcer pour en escamoter les effets ?

Simplification ou nouvelle bureaucratie à la soviétique, et pour quelles économies ? L’affaire devient en tout cas une étude de cas toute trouvée pour les gestionnaires, et un bel exercice d’accréditation pour les futurs évalués.

Retraites : face à l’échec du conclave, la CFR plaide pour une réforme de fond et un système universel par points

Le « conclave » sur les retraites, réuni dans l’espoir de rapprocher les partenaires sociaux sur quelques mesures consensuelles, s’est soldé par un échec. Aucun accord n’a pu être trouvé, malgré plusieurs propositions susceptibles d’améliorer le système actuel. La Confédération Française des Retraités (CFR), qui suit attentivement les évolutions du dossier, déplore vivement cette issue, et en appelle à une remise à plat du cadre actuel.

Des avancées envisageables… restées sans suite

Plusieurs pistes avaient été mises sur la table. Certaines répondaient à des attentes fortes : favoriser l’emploi des seniors via la retraite progressive, améliorer les droits des mères de famille en reconnaissant mieux les périodes d’interruption de carrière pour maternité, ou encore renforcer l’équité entre les différents régimes. Ces mesures auraient pu constituer des avancées concrètes et consensuelles, dans un contexte de défiance persistante vis-à-vis des réformes imposées d’en haut.

Mais faute d’un terrain d’entente entre les organisations syndicales et patronales, ces avancées sont restées lettre morte. Pour la CFR, cet échec n’est pas simplement conjoncturel : il met en lumière les limites structurelles du système actuel.

Un système à bout de souffle, incapable de se réformer de l’intérieur

Le système de retraite français, avec ses 42 régimes distincts, est devenu au fil du temps une véritable mosaïque d’exceptions, d’inégalités et d’opacités. Chaque réforme, même partielle, se heurte à un empilement de droits acquis, de règles spécifiques et de logiques catégorielles difficilement conciliables.

Pour la CFR, il devient clair que les ajustements paramétriques — reculer l’âge légal, allonger la durée de cotisation, ajuster les indexations — ne suffisent plus à garantir l’équité ni la soutenabilité du système. À leurs yeux, seule une réforme structurelle de grande ampleur peut permettre de sortir de l’impasse.

Un plaidoyer renouvelé pour un système universel de retraite par points

C’est dans cette perspective que la CFR renouvelle sa position de long terme en faveur d’un système universel de retraite par points, qui remplacerait progressivement les régimes actuels. Un tel système aurait l’avantage d’être plus lisible, équitable et adaptable. Chaque euro cotisé donnerait les mêmes droits à tous, quels que soient le statut, la profession ou la carrière.

Contrairement à certaines caricatures, la CFR ne voit pas dans ce système une privatisation rampante ou une casse sociale, mais bien une manière de préserver la retraite par répartition, à laquelle les Français sont légitimement attachés. Il ne s’agit pas de briser les solidarités, mais de les rendre plus justes et plus pérennes, dans un cadre lisible et compréhensible par tous.

Un débat à rouvrir avec courage et transparence

Un projet de loi avait amorcé ce virage lors du précédent quinquennat, avant d’être suspendu face aux crises sociales et sanitaires. Aujourd’hui, la CFR appelle les responsables politiques à rouvrir ce chantier essentiel, sans tabou ni démagogie, en associant les citoyens et les corps intermédiaires.

Il ne s’agit plus de gagner du temps ou de retoucher les marges, mais de refonder un système dont les limites deviennent chaque jour plus visibles. L’échec du conclave est un signal d’alarme. Il doit être le point de départ d’un nouveau cycle de réflexion, plus ambitieux, plus transparent, et enfin tourné vers l’avenir.

L’aversion des Français contre les anglicismes dans les publicités est confirmé

Un nouveau sondage confirme l’aversion des Français contre les anglicismes dans les messages publicitaires. La délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) a publié le 3 avril 2025 les résultats d’une étude Toluna/Harris Interactive concernant “Les Français et l’emploi de la langue française”. Réalisée en novembre 2024, elle porte sur la perception de la langue française et la présence de mots et expressions issus de langues étrangères comme l’anglais dans l’espace public.

Les anglicismes génèrent des réactions de « gêne » voire de « colère »

Dans le prolongement d’une étude du CREDOC (“Le multilinguisme en France aujourd’hui – opinion, usages, pratiques 2021”), ce nouveau sondage confirme que l’utilisation de mots ou expressions en anglais dans un message publicitaire conduit à des réactions majoritairement négatives : l’emploi d’anglicismes « intéresse » ou « plait à »19 % des sondés seulement ; alors qu’il suscite chez 45% des sondés des réactions de « gêne » voire de « colère ». Ces proportions sont aussi dans le droit fil de l’enquête du Crédoc selon laquelle 47% des Français se déclaraient « agacés » ou « hostiles » aux messages publicitaires contenant des mots en anglais.

“Pour les marques, s’exprimer avec des anglicismes illustrerait leur caractère supposément innovant”

Ce constat est-il de nature à mettre un frein à l’inflation des anglicismes plus ou moins ridicules ou déplacés dans les campagnes publicitaires ? Rien n’est moins sûr. En mars 2023, le Conseil de l’Éthique publicitaire, qui a pour mission d’éclairer l’Autorité de régulation professionnelle de la publicitaire, pointait « le recours devenu très systématique à l’anglais ou au globish ». il concluait : « le problème est celui de l’appauvrissement de la pensée et celui de l’exclusion pour une partie de la population (…) ». Force est de constater que cette mise en garde n’a guère été suivie d’effet. L’anglais ou plus exactement ce qui « a l’air d’être anglais » est privilégié par sa valeur supposée de modernité, d’innovation et d’ouverture au monde. Pour les marques, s’exprimer avec des anglicismes illustrerait leur caractère supposément innovant, notamment pour s’adresse aux jeunes.

« Cette conviction est tellement forte qu’elle ne souffre aucune réflexion et aucun questionnement : elle fonctionne comme une doxa, une croyance absolue ».

Les publicitaires et communicants gagneraient pourtant à méditer cette phrase de Nelson Mandela : « Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, cela va à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, cela va à son cœur. »

Texte de Pierre GUSDORF – Défense de la langue française

Illustrations :

Publicité électronique reçue en France.
Photo réalisée dans un magasin de Montréal.

n°331-332 – Le manageur : l’homme-clef de la santé mentale

For better or worse, managers have a greater impact on our mental health than doctors and therapists—and even equal to that of spouses and partners, telles sont les conclusions d’une enquête de The Workforce Institute portant sur 3 400 personnes dans 10 pays en 2023[1].*

https://doi.org/10.3917/rsg.331.0001

L’usage de l’anglais, inhabituel, a bien pour objet d’interpeler. Le gestionnaire n’est jamais interrogé sur les plateaux de télévision, ni appelé comme expert alors que l’on parle à longueur d’année des entreprises dans des chroniques appelées à tort « économiques ». Il ne s’agit pas ici de conflit de matières ou de sections du Conseil national des Universités (CNU) : la 06 (gestion) contre la 05 (économie) ou la 19 (sociologie). Il s’agit simplement de donner, à défaut de redonner, à la gestion, au management si l’on préfère cette dénomination, la place qui est la sienne dès qu’on parle d’entreprise et d’organisation !

Un très récent rapport[2] de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les pratiques managériales dans plusieurs secteurs des entreprises françaises comparées à celles de l’Allemagne, de l’Irlande, de l’Italie et de la Suède confirme que loin d’être exemplaire, le management français souffre d’un archaïsme certain du fait d’une excessive verticalité hiérarchique très différente d’ailleurs. « Les travailleurs français estiment que le soutien de leur manager est moins systématique que dans les autres pays de l’UE et dans les pays de comparaison[3] ». Or, l’absence de reconnaissance et d’autonomie est l’un des élément clef pour évaluer les risques psychosociaux, mis en lumière dès 1979 par Robert Karasek. Cela affecte le bien-être et la performance d’une équipe de travail en se caractérisant par une absence de reconnaissance, une surcharge de travail, du harcèlement, de l’agressivité, la manifestation d’une autorité vexatoire, le dénigrement voire ce que l’on appelle pudiquement des relations inadaptées qui peuvent aller jusqu’au viol. La « Promotion canapé[4] » n’est pas seulement un film comique sorti en 1990, c’est d’abord et surtout l’une des plaies des nombreux abus de pouvoir qui peuvent se produire dans toutes organisations humaines en créant une ambiance génératrice d’anxiété.

Ce sont ces types de manageur « froid », indifférent à tous, bien connu comme le « petit-chef », voire manipulateur comme un « marionnettiste » ou absolu comme un « monarque ». L’idéal-type au sens wébérien du « management toxique » pourrait fort bien être représenté par le gouvernement managérial « jupitérien » qui sévit en France et se montre si nuisible à la santé de tous et celle de la Nation !

Là encore, les éléments que sont la distance hiérarchique tout comme la reconnaissance ou non des partenaires sociaux sont des éléments mis en avant depuis fort longtemps par l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail (EU-Osha) pour déterminer les facteurs des risques psychosociaux dans le management[5].

Il n’est pas neutre de constater qu’un salarié sur quatre déclare être en situation de santé mentale dégradée, avec un impact direct sur son engagement, sa productivité et son bien-être au travail[6].

Il meurt au travail par accident un peu moins de 800 personnes en France (759 en 2023), à peu près autant que de morts dans la rue (735 en 2023). L’INRS rapporte que le taux de suicide en France est l’un des sept plus élevés de l’Union européenne[7] et qu’environ 10% de ceux-ci sont liés au travail.

  • C’est dire le rôle clef de l’entreprise, prise dans son sens générique : association, organisation, sociétés, administration… car en effet, « Tout se gère[8] ! »
  • C’est dire également toute l’importance de la gestion des hommes qui n’est pas reproductible par le calque d’une forme de modèle américanisé qui est enseigné un peu partout comme une sorte de Saint Graal.
  • C’est dire encore toute l’importance des pensées et des courants hétérodoxes en économie devant le fiasco de la pensée dominante « mainstream ». Il s’incarne notamment par quelques récipiendaires de ce que l’on appelle improprement le prix Nobel d’économie.
  • C’est dire toujours toute l’importance d’apprendre à connaître les méthodes managériales venues de tous les horizons, car le management interculturel prend ici toute sa place.
  • C’est dire enfin, qu’il est temps de rénover et renforcer les études et les recherches en gestion en ne les diluant pas dans le grand tout dissolvant anglo-saxon, mais en affirmant enfin leur originalité.

Notre revue, la plus ancienne en matière de publications internationales francophones de sciences de gestion est prête à y prendre sa place, avec sa même indépendance et sa même résistance aux oukases !

C’est ainsi que la faiblesse française de considérer les sciences de gestion comme un élément déterminant de la réflexion globale sur les organisations dans les politiques publiques comme dans la presse se démontre dans les faits.

Toutes les études et enquêtes aboutissent à mettre en lumière que le choix de ne pas mettre en place le système de la « participation » aux décisions des travailleurs c’est-à-dire de favoriser le « management participatif » est partout un échec. Bien entendu pas un management de laisser-faire qui induise angoisse, mais une solution d’écoute participative débouchant sur une décision concertée et connue ensuite de tous. Le management n’est pas le problème mais la solution[9] !

Voilà pourquoi notre revue pour ses 60 ans a tenu à consacrer le colloque qui se tiendra en décembre 2025 autour de cette double idée du travail, dans le cadre des Rendez-vous du Management de Marrakech, initiés par Nabil Ouarsafi et de la santé avec notre partenaire habituelle qu’est la chaire de gestion des services de santé du Cnam de Paris que dirige Sandra Bertezene[10].

Voilà pourquoi aussi ce numéro double qui ouvre cette année du soixantenaire, essaie d’embrasser plusieurs thématiques de cette approche du management que le rapport de l’IGAS incite à diversifier.

S’ouvrant sur une tribune sur le Management associatif, se déroulent ensuite quatre thématiques :

  • La Durabilité, ou le développement responsable. C’est une réponse possible pour le commerce comme pour les Techniques d’Information.
  • Discours et action ou comme le diraient les latinistes verba et acta.
  • Quels dirigeants ? est une des questions « cœur » du sujet.

Quatre articles apportent un élément de connaissance propre.

  • Le rôle du temps, enfin, nous est apparu un élément bien trop oublié dans l’immédiateté de nos sociétés. Il n’est certainement pas soluble dans cette horrible sentence citée ad nauseum : « time is money » car nombre de cultures n’ont pas cette vision réductrice !

Si le temps ne pardonne pas ce qui se fait sans lui, gageons que ce numéro permettra de participer à cet apport que souhaite la mission de l’IGAS pour les cadres dirigeants ou non d’« un véritable conseil sur le contenu de leur pratique professionnelle de management, mettant les cadres et notamment les managers au centre des processus de transformation des organisations11 » !

Voilà également sans aucun doute, un moyen de répondre à ce souhait gouvernemental de placer la santé mentale comme « Grande Cause Nationale en 2025 » ! Ne serait-il pas utile que la lecture de notre revue soit désormais considérée comme un traitement efficace pour lutter contre les mauvais manageurs et qui sait, soit remboursée par la Sécurité sociale ?


* Évidemment il faut prendre l’emploi du genre masculin dans sa forme neutre comme le rappelle l’Académie française et donc englobant les femmes et les hommes.

1. Pour le meilleur ou pour le pire, les manageurs ont plus d’effets sur notre santé mentale que les médecins et les thérapeutes-et même à un niveau équivalent avec celui de leur conjoint(e) ou partenaire de vie ! https://www.ukg.com/sites/default/files/2023-01/CV2040-Part2-UKG%20Global%20Survey%202023-Manager%20Impact%20on%20Mental%20Health-Final.pdf

2. Fabienne Bartoli, Thierry Dieuleveux, Mikael Hautchamp et Frédéric Laloue (Igas) (2024), Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France : les enseignements d’une comparaison internationale (Allemagne, Irlande, Italie, Suède) et de la recherche, juin 2024, https://igas.gouv.fr/sites/igas/files/2025-03/Rapport%20Igas%20-Pratiques%20manag%C3%A9riales%20%282025%29%20%28tome%20I%29.pdf

3. Ibid page 42

4. Film réalisé par Didier Kaminka, 1990.

5. EU-OSHA, Management of psychosocial risks in European workplaces–evidence from the second European. Survey of enterprises on new and emerging risks (ESENER-2), 2018.

6. Source : Le baromètre Santé mentale & QVCT 2025 par Qualisocial, en partenariat avec IPSOS. https://www.qualisocial.com/barometre-sante-mentale-qvct-qualisocial-ipsos/

7. https://www.inrs.fr/risques/suicide-travail/ce-qu-il-faut-retenir.html.

8. Philippe Naszályi, (1996) Éditorial, Direction et gestion des entreprises n° 159-160, mai-août 1996. https://larsg.fr/la-revue-des-sciences-de-gestion/n297-298-larsg-fr/

9. Matthieu Detchessahars, (2011), Santé au travail, Quand le management n’est pas le problème, mais la solution…, RFG, DOI:10.3166/RFG.214.89-105. https://shs.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2011-5-page-89?lang=fr

10. https://larsg.fr/sommet-francophone-du-management-double-appel-a-communication/

11. Ibid, page 89.

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